Les 3 Suisses victime d’une approche subjective des tribunaux français ?

Les sociétés déposantes de marques considèrent souvent que la comparaison des signes faites par les juges est empreinte de subjectivité et qu’il n’existe pas de véritable méthode d’analyse permettant de déterminer avec une certaine justesse si deux signes peuvent être considérés comme confusant ou non.

Or, avec la mise en place du Règlement Communautaire et des organes communautaires (OHMI, Chambre des Recours, TPICE et bien sûr CJCE), l’on voit apparaître une méthodologie de réflexion sur la comparaison des signes avec une communication faite par ces organismes sur leur manière d’appréhender les questions de similitude de signes et le dégagement de tendances.

Cette réflexion, balisée par des principes forts rappelés dans chaque analyse de cas, constitue, au fur et à  mesure, un droit jurisprudentiel finalement proche de la méthode anglo-saxonne.

Lorsque l’on voit un jugement national qui ne respecte pas ces critères d’exigence d’analyse et de prise en compte des tendances dégagées au niveau communautaire, l’on ne peut que ressentir une certaine frustration pour la partie qui succombe, selon nous injustement !

Le jugement dont il s’agit est celui du TGI de Paris en date du 28 septembre 2006 dans une affaire 3 Suisses International et Banque Covefi contre Crédit Lyonnais.

Les faits sont les suivants :

Les 3 Suisses sont propriétaires d’une marque COMPLICIO de 1997 en classe 36 exploitée par sa filiale la Banque Covefi. Le Crédit Lyonnais dépose en 2004 une marque SIMPLICIO pour des activités similaires en classe 36.Les 3 Suisses et la Banque Covefi assigne le Crédit Lyonnais en contrefaçon et concurrence déloyale et demande 60 K€ de DI.

Les juges rejettent l’action sur les fondements suivants :

Bien qu’il y ait sept lettres identiques dans les deux marques, les deux lettres différentes sont placées en attaque et surtout « l’absence de confusion résulte ici de l’absence de similarité intellectuelle des deux signes » en prenant en référence le « consommateur achetant ses produits à  la société 3 Suisses et non un consommateur moyen de services bancaires, crédits et autres produits financiers.

Pourquoi l’on ne peut suivre cette analyse ? Il y a trois niveaux de comparaison entre des signes distinctifs : le niveau phonétique qui impacte le plus le consommateur, le niveau visuel et enfin le niveau intellectuel qui, faisant appel à  des associations d’idées, ne traduit pas une similitude immédiate.

De plus, comme l’ont rappelé à  de multiples reprises les juges communautaires, le risque de confusion inclut le risque d’association et donc la question qui se pose est double :

– celle de savoir d’abord si le consommateur moyen risque de confondre les deux marques mais aussi

– s’il risque de leur attribuer une origine commune.

Manifestement, les juges français ont fait prévaloir la différence entre les syllabes d’attaque COMP et SIMP qui se répercute tant au niveau phonétique qu’intellectuel (notions de complicité / simplicité). Cette analyse se heurte cependant selon nous à  la combinaison de plusieurs grandes tendances qui auraient pu amener le tribunal à  prendre une décision différente :

– tendance liée à  la quasi identité entre les signes

Lorsque l’on est en présence de deux marques dont 7 lettres sur 9 sont reprises et ce dans le même ordre, force est de constater que l’impression phonétique et visuelle ne peut être complètement éloignée. Ici les termes COMPLICIO et SIMPLICIO ont à  l’évidence une sonorité similaire.

– tendance liée à  la reprise d’un suffixe distinctif PLICIO

En général, lorsque deux marques ont en commun un suffixe distinctif (ce qui est le cas de PLICIO) cet élément suffit à  entraîner la confusion lorsque les signes ont la même rythmique (ici le même nombre de syllabes). A l’inverse, un suffixe faiblement distinctif ne suffit pas, à  lui seul, à  entraîner le risque de confusion.

– tendance liée à  la détermination du consommateur de référence

Le TGI a pris en compte le « consommateur achetant ses produits à  la société 3 Suisses » pour en déduire l’absence de confusion possible. Un tel raisonnement doit être catégoriquement rejeté car il aboutirait à  ce qu’il ne puisse jamais y avoir de risque de confusion puisque le consommateur ne serait alors pas mis en présence de la marque objet du litige ! De plus, la notoriété d’une enseigne propriétaire des droits antérieurs jouerait en sa défaveur, or, la Cour de Cassation s’est déjà  prononcé pour condamner cet usage de la notoriété à  rebours.

En définitive, la combinaison de ces 3 tendances aurait dû», selon nous, amener les juges à  considérer que le consommateur moyen risquait, sinon de confondre les marques en cause, au moins de leur attribuer une origine commune et donc rejeter le dépôt SIMPLICIO.

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