On pensait avoir réglé le sort de Google en ce qui concerne son service de liens commerciaux Adwords, mais c’était sans compter sur ce récent arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 11 décembre 2013, qui a dû bien soulager le géant américain.
L’occasion d’une mise au point sur les critères et les implications des statuts des acteurs du net, et sur les obligations de Google pour Adwords.
I – la toile responsable
On le sait, sur la toile tout va très vite et on est protégé par un anonymat facile à conserver. Mais ce n’est pas parce qu’on est n’importe qui, qu’on peut faire n’importe quoi! La loi ne s’arrête pas aux frontières d’un clavier.
On peut résumer le régime des responsabilités sur le net de la façon suivante :
1- L’auteur est responsable de tout contenu illicite (injures, vidéo violant les droits d’auteur d’un tiers etc) qu’il diffuserait sur la toile.
Néanmoins, il est souvent difficile d’identifier sur internet l’auteur qui peut se cacher derrière un pseudonyme ou une fausse identité. Or, sans une ordonnance du juge, le prestataire ou le FAI ne révèlent pas l’identité de leur client!
2- Aussi, les prestataires internet peuvent être mis en cause, en appliquant un régime différent selon qu’ils sont considérés comme éditeur ou hébergeur.
Mais c’est quoi un éditeur, c’est quoi un hébergeur, me direz-vous ?
La Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) de 2004, puis les jurisprudences qui ont suivi, ont permis de dégager une certaine tendance.
Au sens juridique du terme, l’éditeur est celui qui, par son rôle actif, est supposé avoir connaissance et contrôler le contenu diffusé sur son site ; l’hébergeur en revanche, est un prestataire technique qui assure simplement la mise à disposition d’un serveur et éventuellement d’une interface.
Plusieurs arrêts de la CJUE, et notamment un arrêt du 23 mars 2010, ont permis de dégager les critères : l’activité de l’hébergeur revêt un caractère purement technique, automatique et passif, impliquant qu’il n’ait pas eu la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées.
A titre d’exemple, Facebook fournit les moyens techniques de diffuser des informations sur internet, et chaque utilisateur poste ensuite tout le contenu qu’il souhaite : photos, texte, viéos etc. Facebook est donc un hébergeur.
En revanche, certains sites de vente d’occasion, tels que Priceminister ou Ebay assurent un contrôle systématique des annonces mises en ligne, autorisent la recherche de mots clés pertinentes, organisent l’anonymat des vendeurs etc, et ont donc été considérés éditeurs.
Or, l’éditeur, est responsable de tout contenu diffusé sur son site, et est même soumis à une obligation de contrôle.
L’hébergeur, lui, bénéficie d’un régime allégé de responsabilité, qui ne peut être engagée que s’il a été informé d’un contenu manifestement illicite, et n’a pas agi promptement pour le retirer.
Attention, l’information du contenu à l’hébergeur est soumise à un formalisme très particulier et plusieurs arrêts ont rejeté la responsabilité de l’hébergeur, au motif que l’information qui lui avait été transmise ne contenait pas l’ensemble des précisions exigée, et en particulier l’identification précise de la victime.
Cette lettre d’information ne doit donc pas être prise à la légère. Il en va de la recevabilité de l’action par la suite !
De plus, le caractère « manifestement illicite » peut porter à discussion, et en l’absence d’une décision de justice sur ce sujet, c’est à l’hébergeur que revient la délicate mission de juger du caractère manifestement illicite ou non du contenu qui lui est notifié. Pour les vidéos contraires au droit d’auteur, Youtube et DailyMotion disposent d’un système de reconnaissance automatisé. Pour les autres types de vidéos illégales, Google dispose d’équipes qui traitent les signalements d’internautes et en déterminent la pertinence.
Ainsi, Youtube a récemment supprimé la « version officielle » de Shoananas, la parodie antisémite d’une chanson d’Annie Cordy chantée par Dieudonné, qui lui a été signalée.
L’une des dernières vidéos de Dieudonné, publiée le 31 décembre et intitulée 2014 sera l’année de la quenelle, visée par une plainte de l’UEJF et de l’association J’accuse !, totalise aujourd’hui plus de trois millions de vues sur YouTube. Est-elle « manifestement illégale » ?
II – Google est finalement hébergeur en ce qui concerne son service Adwords
Revenons donc à notre arrêt du 11 décembre dernier, relatif au statut de Google pour son service de liens commerciaux Adwords.
La jurisprudence semblait avoir tranché et considérait Google comme un éditeur dans ce cadre, donc responsable en cas de liens commerciaux illicites.
Mais la cour d’appel de Paris est revenue sur ce point. On prend les mêmes et on recommence !
L’acteur Olivier Martinez attaquait Google car un lien commercial renvoyait vers un article de Gala dévoilant des éléments de sa vie privée.
Gala est évidemment responsable du contenu de son article attentatoire à la vie privée d’Olivier Martinez. Mais Google est-il responsable d’avoir permis la diffusion de l’article dans ses liens commerciaux ?
La cour d’appel de Paris a retenu que la création de l’annonce a été le fait du seul annonceur, Gala, qui avait seul rédigé le contenu des liens commerciaux et choisi les mots clés. Google est donc hébergeur ! Or, il a désactivé les liens en cause une semaine après la mise en demeure du comédien, sa responsabilité ne peut donc pas être engagée. CQFD !
Cette décision devrait soulager Google, qui faisait parfois preuve d’un zèle indésirable… comme en atteste l’affaire qui a mené à la décision de la cour de cassation du 14 mai 2013.
En effet, il ne semble pas inutile de rappeler qu’à la suite de plusieurs décisions de justice (Interflora, Eurochallenge etc), une société peut utiliser sur internet la marque d’un concurrent en mot clé pour afficher son lien commercial payant par Google AdWords : en l’absence de circonstances caractérisant un risque de confusion entre les sites internet des deux entreprises concurrentes, le démarchage de la clientèle d’autrui, via l’achat de mot clé, est licite s’il n’est pas accompagné d’un acte déloyal.
Ainsi, un fleuriste peut réserver le mot-clé Interflora si son annonce commerciale ne laisse pas penser à tort qu’il existe un lien entre les deux sociétés.
Pourtant, Google accédait aux demandes de certains titulaires de marque, lui demandant de faire le nécessaire pour que seul son site internet sorte parmi les résultats des recherches sur le mot-clé correspondant à sa marque.
Dans un arrêt du 14 mai 2013, la Cour de cassation a approuvé la décision de la cour d’appel de Lyon qui a condamné le titulaire de la marque à verser 80.000 euros de dommages et intérêts à son concurrent, estimant qu’il a commis une faute en demandant au prestataire de référencement de supprimer l’affichage des annonces des concurrents sur la requête correspondant à sa marque, alors même qu’en l’espèce, la publicité ne créait pas de risque de confusion.
Les deux juridictions ont jugé qu’en obtenant de Google qu’elle supprime le référencement de la société concurrente sur Internet, le propriétaire de la marque a privé indûment cette dernière d’un moyen d’accéder à une clientèle pour lui proposer son service concurrent.
En bref, Google n’est pas au bout de ses peines, mais devrait pouvoir souffler un peu… jusqu’à la prochaine décision !