Au quotidien, on voit que beaucoup de dépenses sont engagées en propriété industrielle (notamment pour des dépôts) sans stratégie juridique initiale et dès lors souvent de façon inappropriée. La première question à se poser est « dois-je déposer ? » et la réponse n’est pas simplement « oui, si je veux être protégé »… Cette question peut paraître basique mais en ouvre pourtant beaucoup d’autres pour pouvoir apporter une réponse réellement conforme au positionnement de l’entreprise et à son besoin de sécurité d’exploitation. Par exemple, quel est mon objectif si je dépose ? est-ce que j’ai le droit de déposer ce nom/ce logo ? vais-je en faire un usage pérenne ? est-ce que mon dépôt serait juridiquement valable ? suis-je certain de ne pas être attaqué moi-même si je dépose ? quelle sera l’étendue de mes droits ?Finalement, il s’agit de réfléchir à sa dépense et savoir si elle est réellement utile et équilibrée. La seconde question est certainement « que dois-je déposer ? » et là encore la réponse est rarement évidente. Le choix s’apprécie au cas par cas, en fonction du projet et de la politique de marque de l’entreprise, et dépend souvent des antériorités détectées grâce à la recherche d’antériorité. Mais lorsqu’il s’agit de protéger un logo, l’affaire se complexifie encore un peu plus ! Souvent un logo est en couleurs, voir décliné en plusieurs couleurs au sein de la charte graphique et en fonction des différents support sur lequel il sera apposé.
Dans ce type de cas, ce qu’on voit le plus souvent c’est :
- Un seul dépôt de marque avec l’ensemble de la charte graphique, donc une faiblesse juridique globale… la protection est donnée à l’ensemble tel que déposé et non à chacun des éléments pris isolément, d’où une protection très faible (voire inexistante en pratique en cas de copie) ; l’ensemble n’est bien sûr pas exploité tel que déposé, ce qui pose évidemment des problématiques de déchéance de la marque pour non usage ® un budget dépensé inutilement
- Une multiplication des dépôts, avec un dépôt de marque par déclinaison de couleur ® un budget multiplié
- Un dépôt en noir & blanc, souvent décidé sur le principe de cette fausse idée reçue : ainsi, je suis protégé aussi pour mon logo en couleurs et toutes ses déclinaisons. La situation juridique d’un dépôt en noir & blanc n’est pourtant pas si simple !
Il faut savoir que les effets juridiques d’une marque en noir & blanc ne sont pas harmonisés dans la pratique des institutionnels et tribunaux, même en Europe ! C’est d’ailleurs pour cette raison que l’OHMI, après un travail de 2 ans, a transmis en avril dernier une Communication sur la pratique commune du champ de protection des marques en noir & blanc, avec la participation de la plupart des offices des pays d’Union Européenne (la France n’a pas participé…). En substance, on considère qu’une marque déposée en noir & blanc n’est pas identique à la même marque en couleurs, sauf si les différences de couleurs sont insignifiantes c’est-à-dire qu’elles ne seront pas perçues par consommateur raisonnablement attentif s’il n’a pas les deux signes sous les yeux. Par exemple : n’est pas identique à
Ou encore :
n’est pas identique à
En pratique, que faut-il en tirer, si j’ai un dépôt de mon logo en noir & blanc ? – Je pourrais toujours me battre contre un logo identique au mien mais en couleurs, déposé ou utilisé par un de mes concurrents, mais je devrais prouver l’existence d’un risque de confusion – Je pourrais difficilement gagner sur le terrain de la contrefaçon contre un dépôt ou un usage par un concurrent d’un logo similaire au mien (proche mais non identique), même s’il reprend les couleurs que j’utilise – Si j’ai quelque peu fait évoluer mon logo (éléments verbaux/figuratifs et/ou contrastes des nuances modifiés), avec mon exploitation en couleurs, je ne pourrais pas prouver que j’utilise ma marque. Je risque de perdre ma marque, donc, mon monopole et mon antériorité, lorsque j’aurai l’obligation de l’exploiter (en général au bout de 5 ans), – Je dois vérifier avec mon Conseil en PI si les différences de couleurs seraient considérées comme insignifiantes ou non et envisager de procéder à un nouveau dépôt en couleurs de mon logo.
Charlotte Urman, Conseil en Propriété Industrielle, Directrice du bureau d’Inlex IP Expertise sur la Côte d’Azur