Pour obtenir la gestion des nouvelles extensions, il faut d’abord déposer un dossier auprès de l’ICANN. Malheureusement, aucun des acteurs français et européens des vins n’a déposé cette candidature lors de l’ouverture de ces deux extensions (cf. http://www.ip-talk.fr/2013/06/26/ouverture-prochaine-de-lextension-vin/). Concernant l’extension « .vin », une seule candidature a été déposée par la société américaine Donuts Inc. Par ailleurs, cette société et deux autres sociétés américaines sont seules à candidater au « .wine » ! La gestion du « .wine » et du « .vin » pourrait alors être confiée à ces entreprises qui n’ont rien à voir avec le secteur vitivinicole. Ainsi, si un exploitant de vin souhaite réserver un site internet avec le nom de son château suivi par les suffixes « .vin » ou « .wine », il devra s’adresser directement à ces entreprises. Or, il est fort probable que les sociétés candidates gèrent et commercialisent ces extensions selon la loi du plus offrant sans tenir compte des indications géographiques et des appellations d’origine protégées. Cette situation pose des problèmes juridiques et économiques majeurs. En effet, les extensions « .vin » et « .wine » pourraient être achetées par des entreprises qui n’ont aucun lien avec le secteur géographique concerné dans un seul but de profiter de la notoriété des indications géographiques concernées. Par exemple, on pourrait très bien imaginer qu’en allant sur www.bordeaux.vin ou www.bordeaux.wine, on tombe sur le site marchand proposant des vins frelatés en Chine. Cette situation irait totalement à l’encontre des règles déterminées dans le cadre de l’OMC via les accords ADPICs, qui prévoient au contraire une protection additionnelle aux indications géographiques vins et spiritueux visant précisément à garantir ce que les produits éligibles à leur utilisation proviennent bien des endroits annoncés. Les Etats-Unis étant naturellement membres de cette organisation et devant donc respecter la protection prévue pour les vins et spiritueux bénéficiant d’une indication géographique, une telle situation devient donc juridiquement schizophrénique. Conséquences ?
- Tromperie pour les consommateurs ;
- Atteinte au nom, à l’image ou à la notoriété d’une Indication Géographique Protégée (IGP) / Appellation d’Origine Protégée (AOP) ;
- Favorisation de la contrefaçon ;
Comparaison avec les extensions « .bio » et « .paris » Dans les deux cas, les problèmes liés à la tromperie des consommateurs (« .bio ») et à l’atteinte au nom, à l’image ou à la notoriété d’une collectivité territorialité (« .paris ») ont été anticipés avec des mesures appropriées. En effet, la gestion de ces deux nouvelles extensions est soumise à des conditions strictes sous contrôle des organismes gestionnaires. Par exemple, la société STARTING DOT qui est en charge de la commercialisation de l’extension « .bio » vérifie que tout producteur ou distributeur de l’Union européenne souhaitant enregistrer son site en « .bio » répond au Règlement européen relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques (Règlement n°834/2007 du 28 juin 2007). Concernant l’extension « .paris », c’est la Ville de Paris qui a déposé un dossier et qui est donc en charge de la gestion de cette extension (pour plus d’informations concernant les conditions d’attribution de cette extension cf. http://www.ip-talk.fr/2014/09/09/lets-paris). Situation de blocage concernant le secteur vitivinicole : l’échec des négociations entre la France et l’ICANN
- 1er échec : l’absence de candidature de la part des acteurs français ou européens des vins lors de l’ouverture de ces extensions. Il faut noter que le droit des Indications géographiques étant un droit public sur le sol de l’Union Européenne, seules les instances représentatives (Syndicats, interprofessions, Ministères) auraient eu potentiellement la légitimité pour effectuer de telles demandes.
- 2ème échec : le droit de préemption qui donnerait aux exploitants des IGP ou AOP un accès privilégié aux extensions viticoles « .vin » et « .wine » n’a pas été accordé.
- 3ème échec : la demande de suspension du processus d’attribution de ces deux extensions tant que la question de la protection des AOP et IGP ne serait pas réglée, n’a pas été acceptée par l’ICANN. En effet, la société ICANN, bien qu’elle ait une influence sur le web mondial, est basée aux Etats-Unis qui s’opposent sur la question de la protection des IGP et AOP. Selon le communiqué de presse du ministère de l’agriculture, Stéphane Le Foll, ce sujet ferait l’objet d’une action des autorités françaises pour examiner toutes les mesures et actions propres à assurer aux producteurs de vins d’appellation d’origine comme aux consommateurs la protection indispensable contre les abus sur internet.
- 4ème échec ? : suite à la réunion internationale de l’ICANN qui s’est tenue en juillet dernier en Afrique du Sud, la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à appellations d’origine contrôlées (CNAOC) et la Fédération européenne des vins d’origine (EFOW) auraient vraisemblablement indiqué qu’un compromis a finalement été trouvé : un délai de 30 jours pour le secteur viticole et les sociétés candidates aux extensions « .vin » et « .wine » pour trouver un accord. Une trentaine de jours se passent et silence… à suivre !
- On comprend bien l’enjeu politique et économique de l’attribution des extensions « .vin » et « .wine », mais quelle position doit-on adopter dans cette situation de blocage si on veut créer ou développer son activité de vente sur internet ? Si on suit la logique de l’ICANN selon laquelle l’internet est libre pour tous, c’est alors la règle du « premier arrivé, premier servi » qui s’applique. Nous avons vu que ce principe a débouché sur un grand marché spéculatif autour de la vente de noms de domaine avec les risques de cyber-squattage. Au lieu d’attendre les débats politiques, les vignerons, les exploitants et les autres acteurs du secteur vitivinicole devraient alors faire preuve d’initiative et ETRE LES PREMIERS à réserver leurs noms avec les nouvelles extensions « .vin. » et /ou « .wine ». Il convient de souligner à cet égard que les règles de l’ICANN prévoient le droit de préemption pour les marques inscrites à la Trademark Clearinghouse (TMCH) permettant d’une part d’enregistrer les noms de domaines liés à la marque en priorité (avant le lancement de chaque nouvelle extension) et, d’autre part, d’être alerté lorsqu’un tiers enregistre un nom de domaine lié à la marque enregistrée. Par ailleurs, les TMCH guidelines prévoient expressément que ces marques peuvent contenir des indications géographiques ou des appellations d’origine. Or, ces précautions contre les potentiels cyber-squatteurs ne peuvent que difficilement satisfaire à la règlementation européenne et nationale des IGP et AOP. De ce fait, les exploitants de vin devraient faire le maximum possible pour être les premiers au moment où les extensions « .vin » et « .wine » seront finalement lancées. Enfin, en cas de violation d’une IGP / AOP par un nom de domaine frauduleux, il sera toujours possible d’utiliser les instruments juridiques classiques, à savoir le Code de la consommation, le Code rural et de la pêche maritime et le Code de la Propriété Intellectuelle modifié par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (désormais toute atteinte portée à une IGP /AOP constitue une contrefaçon).
Enfin, il faut garder à l’esprit que l’attribution d’une extension géographique trompeuse ne donne pas pour autant le droit de réaliser des contrefaçons correspondantes. Les règles de protection des accords ADPICs continueront donc naturellement à s’appliquer.
Pour plus d’information, n’hésitez pas à nous contacter : Céline Baillet : cbaillet@inlex.com