En matière de lutte contre la contrefaçon, la Chine fait régulièrement figure de mauvaise élève. Dans le domaine des vins et spiritueux, notamment, son rôle croissant a permis de mettre sur le devant de la scène la problématique de la protection des droits de propriété intellectuelle, en impliquant acteurs publics et privés dans la défense des marques vitivinicoles.
Cependant, tandis que les acteurs privés prennent progressivement conscience de l’importance de l’enregistrement de leurs droits en Chine, nombre d’entre eux se heurtent à l’une des difficultés majeures du système chinois : le principe du « premier arrivé, premier servi ».
En effet, contrairement au système français, dans lequel l’INPI n’effectue pas de contrôle a priori de la disponibilité d’un signe – c’est aux titulaires de marques antérieures d’être vigilants ! – l’Office des marques chinois (CTO) recherche s’il n’existe pas de marque antérieure similaire avant de publier une demande de marque pour opposition.
En l’occurrence, nombre d’entreprises ou de particuliers ont la mauvaise surprise, lorsqu’ils souhaitent procéder au dépôt de leur marque en Chine, de voir leur dépôt rejeté en raison de l’existence d’une marque antérieure similaire. Dans la majorité des cas, ce dépôt est l’œuvre d’un partenaire commercial (par exemple, un distributeur sur place) ou d’un « trademark squatteur », c’est-à-dire une personne enregistrant à titre préemptif des marques, afin de les revendre à leur titulaire légitime.
Cette problématique majeure a d’ailleurs été rappelée par le directeur adjoint du CTO, à l’occasion du Chinese Trademark Festival qui se déroulait à Guilin, dans le Sud-Est de la Chine, du 1er au 4 septembre dernier.
Jusqu’ici, les possibilités de faire annuler ces dépôts frauduleux étaient limitées. Cependant, le gouvernement chinois a récemment pris certaines mesures qui devraient permettre d’offrir aux titulaires de marques légitimes une meilleure protection en Chine contre les dépôts de marques de mauvaise foi.
Ainsi, l’Office des marques chinois a révisé les normes d’examen et de révision des marques[1] en décembre 2016 et, en janvier 2017, la Cour Suprême du Peuple (SPC) a édicté des dispositions sur le contentieux administratif des marques[2] qui sont entrées en vigueur le 1er mars 2017.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle mesure est prise. Déjà, en 2014, le troisième amendement à la loi chinoise sur les marques de commerce reconnaissait explicitement l’application du principe d’honnêteté et de crédibilité au droit des marques. Il introduisait ainsi le principe de bonne foi à l’article 7 de la loi chinoise sur les marques du commerce, et des mesures spécifiques à l’article 15.2.
Les dispositions publiées en janvier dernier par la SPC constituent une interprétation officielle de ces mesures, visant à clarifier et à harmoniser un certain nombre de critères que les juges du CTO et du Comité d’examen et de vérification des marques chinoises (TRAB) devront examiner afin d’établir la mauvaise foi d’un déposant.
- Une conception élargie des dépôts de marque de mauvaise foi
À travers ces dispositions, la SPC défend une interprétation large des termes « mandataire » et « représentant » figurant à l’article 15.1 de la loi chinoise sur les marques (voir ci-dessous), en précisant que ces termes incluent toute personne entretenant une relation de quelque nature que ce soit avec un tel mandataire, même lorsque les négociations ne se sont pas conclues.
De même, l’expression « autres relations » figurant à l’article 15.2 doit être comprise au sens large, puisqu’elle inclut : des relations familiales, des relations de travail, les entreprises géographiquement proches, ainsi que les relations d’affaire précontractuelles n’ayant pas abouti.
Article 15 – Loi chinoise sur les marques
« Lorsqu’un mandataire ou un représentant, sans autorisation du client, demande l’enregistrement en son nom propre de la marque du client et que le client s’y oppose, la marque n’est pas enregistrée et son utilisation est interdite.
Une demande d’enregistrement de marque désignant des produits identiques ou similaires est refusée si cette marque est identique ou similaire à une marque non enregistrée déjà utilisée par une autre partie, lorsque le déposant a clairement connaissance de l’existence de la marque d’une telle autre partie en raison de relations contractuelles, commerciales ou d’autres relations avec cette dernière, différentes de celles prescrites à l’alinéa précédent, et si cette autre partie soulève des objections à l’encontre de la demande d’enregistrement en question ».
La SPC facilite également la preuve de la mauvaise foi, en considérant que :
- La preuve de la mauvaise foi peut être établie tant à la date du dépôt que par les faits survenus après cette date, notamment en tenant compte de l’utilisation de la marque litigieuse.
- Le tribunal peut présumer la mauvaise foi lorsque la notoriété de la marque citée est élevée et que le déposant connaissait ou aurait dû connaitre la marque, à moins que ce dernier ne soit en mesure de prouver qu’il disposait d’un motif valable pour ce dépôt.
- La preuve de la mauvaise foi peut être établie lorsque la mauvaise foi du demandeur a été établie dans une affaire antérieure.
En outre, les dépôts massifs de marques commerciales sans intention d’usage, qui caractérisent généralement le « trademark squatting », sont proscrits au terme de l’article 44 de la loi chinoise sur les marques.
- Des cas d’école pour illustrer les dépôts de marque de mauvaise foi
Suite à cette publication, le Tribunal de la propriété intellectuelle de Pékin a publié en mai dernier une liste de 18 cas typiques des dépôts de marque de mauvaise foi.
Parmi ceux-ci, on retrouve les dépôts massifs de marques commerciales sans intention d’usage ; les dépôts de marques notoires ; les marques déposées par un agent ; les dépôts de marques utilisées antérieurement et bénéficiant d’une certaine renommée ; les dépôts usurpant le nom d’une personnalité publique connue dans les domaines de la politique, de l’économie, de la culture, de la religion ou de la représentation d’un groupe ethnique.
Fondé en 2014 dans le cadre d’un projet pilote de la réforme judiciaire en Chine, le Tribunal de la propriété intellectuelle de Pékin est en effet reconnu pour l’expertise de ses juges, spécialistes de la propriété intellectuelle. Ainsi, ses décisions ont vocation à s’imposer aux juridictions inférieures pour l’évaluation de la mauvaise foi du déposant.
Ce Tribunal est également considéré comme plus généreux dans l’indemnisation des victimes, puisqu’en 2016, le montant des dommages et intérêts attribués par ce Tribunal a été en moyenne de 250 000 € pour les cas de contrefaçon de marque.
- Quelles conséquences pour la protection de vos droits de propriété intellectuelle en Chine ?
Alors que la Chine a longtemps été critiquée pour son manque de transparence et d’uniformisation dans l’application des lois, ces différentes évolutions attestent de la préoccupation croissante des autorités chinoises pour la protection des droits de propriété intellectuelle.
En particulier, les décisions transmises par le Tribunal de la propriété intellectuelle de Pékin témoignent de la sensibilité accrue de cette juridiction aux problématiques des dépôts de mauvaise foi. L’adoption de critères plus stricts dans l’examen de la mauvaise foi du déposant laisse présager des décisions plus favorables de la part du CTO et du TRAB dans l’examen des demandes de marques, des actions en opposition et en annulation. En outre, l’établissement d’une base de données répertoriant les « trademark squatteurs » et le partage des informations entre les administrations locales devraient permettre une meilleure lutte contre les dépôts de marques de mauvaise foi.
Enfin, le 20 septembre dernier, l’Administration nationale des marques du commerce et de l’industrie (SAIC) a initié une campagne de répression contre la contrefaçon de marques, durant jusqu’en février 2018, et dont les cibles principales sont les marques notoires, les marques liées à des indications géographiques et les marques étrangères.
Dans ce contexte favorable, n’attendez pas plus pour vous assurer de la bonne protection de vos marques en Chine ! Nos équipes sont à votre disposition pour vous conseiller sur la stratégie à adopter et pour vous accompagner dans vos démarches de dépôts, de veille et dans vos actions en contrefaçon.
Marion ALARY
Juriste PI, INLEX IP Expertise – Bordeaux
[1] China Trademark Office, State Administration of Industry and Commerce, ‘‘Trademark Review and Examination Standards’’ [Shangbiao shencha ji shenli biaozhun], Décembre 2016.
[2] Supreme People’s Court, Provisions on Certain Issues Related to Trials of Administrative Cases Involving the Grant and Confirmation of Trademark Rights [Zuigao renmin fayuan guanyu shenli shangbiao shouquan quequan xingzheng anjian ruogan wenti de guiding], publié le 10 Janvier 2017, entré en vigueur le 1er Mars 2017.