Sport vs. Loi Evin : quelles sont les tactiques gagnantes pour les marques d’alcool ?

Sport vs. Loi Evin : quelles sont les tactiques gagnantes pour les marques d’alcool ?

Depuis 1991, le match se rejoue régulièrement, déchainant les passions des supporters dans chaque camp. D’un côté, la loi Evin, du nom du ministre de la Santé à son origine, qui interdit la vente d’alcool dans les stades et règlemente la publicité pour les boissons alcooliques. De l’autre, les clubs sportifs et les marques d’alcool, qui dénoncent les inégalités induites par cette loi et militent pour son assouplissement.

Avant toute chose, commençons par un petit rappel des règles du jeu…

Celles-ci sont issues de la Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite « Loi Evin », et transposées dans le Code de la Santé Publique (CSP).

En premier lieu, la Loi Evin définit de manière stricte les supports autorisés pour la publicité en faveur des boissons alcooliques, énumérés à l’article L3323-2 du CSP : presse écrite adulte, radios dans certaines tranches horaires, affiches, brochures commerciales, véhicules de livraison, fêtes et foires traditionnelles, services de communication en ligne à l’exception de ceux destinés à la jeunesse ou édités par les organisations sportives (sous réserve que la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle).

Elle limite également les contenus autorisés : les informations communiquées devant être objectives et informatives quant au produit et ses qualités (par exemple : origine, dénomination, composition, mode d’élaboration du produit).

Par ailleurs, la Loi Evin interdit toute opération de parrainage ayant pour objet la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques, et n’autorise que le mécénat, l’article L3323-6 du CSP précisant que les initiateurs d’une opération de mécénat ne peuvent faire connaître leur participation que par la voie de mentions écrites dans les documents diffusés à l’occasion de cette opération.

Enfin, et c’est le sujet qui enflamme les supporters, la Loi Evin interdit à l’article L3335-4 du CSP la vente et la distribution de boissons alcooliques dans les stades et les établissements d’activités physiques et sportives.

La vente d’alcool dans les stades : un match inégal ?

Fin juillet, plusieurs députés de la majorité LREM ont déposé une proposition de loi visant à accompagner et encadrer la vente d’alcool dans les stades, en « étendant l’octroi d’autorisations temporaires de vente d’alcool aux sociétés sportives  ».

Ce n’est pas la première fois que la question est soulevée. Déjà, en début d’année, plusieurs élus du parti Les Républicains déposaient une proposition de loi « portant autorisation permanente de la vente de boissons dans les stades » [i].

Pour les partisans d’un assouplissement de la vente d’alcool dans les stades, les principaux arguments sont les suivants :

  • D’une part, ceux-ci pointent les inégalités induites par cette réglementation. En effet, si la consommation d’alcool est interdite dans les tribunes latérales et les virages, elle ne l’est pas dans les loges et les accès VIP, qui peuvent bénéficier d’une licence restauration. Par ailleurs, l’article L3335-4 du CSP autorise la vente de boissons de troisième catégorie dans les stades, par autorisation dérogatoire du maire ou du préfet, sur demande des associations sportives agréées et dans la limite de dix autorisations annuelles. Ainsi, en fonction des villes, des sports et des compétitions, tous les supporters ne sont pas logés à la même enseigne, d’autant qu’en pratique, les contrôles sont rares. Un dispositif flou, donc, et faisant l’objet d’une application aléatoire.
  • D’autre part, sur le plan de la salubrité publique, les clubs plaident en faveur d’une consommation encadrée à l’intérieur des stades, afin d’éviter les débordements à l’extérieur des enceintes, où aucune législation n’empêche la vente d’alcool. D’autant que la plupart des nouveaux stades sont équipés de cellules de dégrisement, par exemple.
  • Enfin, le dernier argument est celui du manque à gagner financier pour les clubs, dans un contexte de baisse des subventions. À cet égard, un rapport sénatorial[ii] avait estimé qu’une modification de la Loi Évin pourrait permettre de rapporter entre 30 et 50 M€ aux clubs professionnels.

Néanmoins, la partie est loin d’être gagnée, puisque les défenseurs de la Loi Evin, au premier plan desquels l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), ont vivement réagi à cette proposition de loi. La Ministre de la santé, Agnès Buzyn, a quant à elle réagi sur Twitter le 9 août dernier en rappelant que « L’alcool tue 41 000 personnes chaque année dans notre pays. (…) La ferveur n’a pas besoin d’alcool pour s’exprimer dans nos stades ».

Publicité pour l’alcool et compétitions sportives : attention au carton rouge !

En application de la Loi Evin, communiquer dans le cadre d’évènements sportifs est particulièrement délicat pour les marques d’alcool. En effet, l’univers sportif n’entre a priori pas dans le cadre des informations objectives et informatives quant au produit et ses qualités autorisées dans les publicités pour des boissons alcooliques.

Par ailleurs, outre les dispositions précitées, la « Recommandation Alcool » du Bureau de Vérification de la Publicité (BVP), publiée en Juillet 2004, indique, en son point 1.6., qu’aucune communication commerciale « ne doit associer la consommation de boissons alcoolisées à des situations de chance, d’exploit, d’audace ou d’exercice d’un sport ».

Dans ce match, l’ANPAA joue souvent le rôle d’arbitre en attaquant les marques dont les campagnes de publicité ne respectent pas le cadre de la Loi Evin.

Elle a ainsi obtenu la condamnation de la société Hachette en 2004 pour la publication dans le magazine Auto-Moto d’une photographie montrant Michael Schumacher dans un environnement comportant le logo de la bière Foster’s et des bouteilles de Champagne Mumm[iii].

En 2014, elle saisit en référé le Tribunal de Grande Instance de Paris suite à la publication de publicités à l’occasion du match France/Ukraine, décisif pour la qualification des Bleus à la coupe du Monde au Brésil, et obtient leur retrait et la condamnation de la maison de Champagne à une amende de 2.500 euros[iv]. Les publicités (voir ci-dessous), parues dans les pages du Monde, du Figaro et du journal L’Équipe, comportaient notamment les mentions « Taittinger déjà qualifié pour le Brésil », « Bravo les Bleus ! Quand les ballons pétillent ! » et « Taittinger champagne officiel de la Coupe du monde de la Fifa 2014 ».

 

 

 

À l’occasion de la coupe du monde 2014 et du championnat d’Angleterre, la brasserie Kronenbourg est également attaquée par l’ANPAA, suite à sa commercialisation de canettes de bière Carlsberg reproduisant la photographie de quatre joueurs de football accompagnée de la mention « Bière officielle de la Barclays Premier League » (voir ci-dessous).

Dans sa décision[v], la Cour de Cassation rappelle que le conditionnement d’une boisson constitue un support de communication soumis aux dispositions de la Loi Evin, et relève que les mentions litigieuses constituent une opération de parrainage, interdite en vertu du dernier alinéa de l’article L.3323-2 du CSP.

 

 

L’ANPAA obtient également la condamnation[vi] du Rugby Club Toulonnais (RCT) pour son site internet labieredurct.com présentant le logo du RCT, des mentions « Bière officielle du RCT » et « La troisième mi-temps du RCT » figurant sur la canette de bière éponyme et reproduites sur le site, ainsi que de la mention « Vous êtes un vrai supporter du RCT ? Alors complétez votre pack du parfait supporter en ajoutant la bière du RCT ! ».

Le TGI de Paris retient en effet que ces mentions relèvent d’une publicité illicite pour l’alcool dès lors qu’elles tendent très manifestement à associer un club sportif à une boisson alcoolisée et ne figurent pas parmi les mentions autorisées par les textes cités.

 

 

Afin de contourner ces difficultés, les marques ont donc dû revoir leur stratégie de jeu, en privilégiant des tactiques de contournement.

À l’occasion de l’Euro 2016 de football, le groupe Kronenbourg a fait le choix d’axer sa communication officielle sur sa bière sans alcool Tourtel Twist, tout en profitant de l’évènement pour booster la notoriété de sa marque phare Carlsberg, notamment au sein des fan zones.

Autre exemple de contre-attaque, certaines marques développent des marques « alibi », rappelant l’univers de la marque originale sans pour autant citer de boisson alcoolique. C’est ainsi que Heineken a choisi de communiquer via son slogan « Enjoy Responsibly », afin de sponsoriser la Ligue des Champions, sans apparaître directement sur les panneaux publicitaires. Le groupe a également pu bénéficier d’une opération de naming à l’occasion de la Coupe d’Europe de rugby à XV, renommée « H Cup », associé à l’étoile rouge.

De manière similaire, le groupe Guinness est partenaire du tournoi des six nations renommé « Guiness Six Nations », sauf pour les spectateurs français, pour lesquels le tournoi a été rebaptisé « Six Nations Greatness ».

 

Prudence, donc, pour les opérations promotionnelles associant une marque d’alcool à un évènement sportif ! Notre équipe LexWine se tient à votre disposition pour évaluer les risques et opportunités de vos campagnes de communications.

Marion ALARY – Juriste en propriété intellectuelle au sein du département LexWine


[i] Proposition de loi portant autorisation permanente de vente de boissons dans les stades, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 février 2019.

[ii] Rapport sénatorial n° 437 de MM. Jean-Jacques LOZACH et Claude KERN, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, déposé le 22 février 2017, et visant à « Muscler le jeu » du football professionnel.

[iii] Décision n° 04-81.123 de la Cour de Cassation, 03/11/2004, Société Hachette FLIPACCHI PRESSE AUTOMOBILE.

[iv] Ordonnance de référé n° 13-59665 du TGI de Paris, 16/01/2014.

[v] Décision n° 16-14.978 de la Cour de Cassation, 05/07/2017, Carlsberg – Coupe du Monde 2014.

[vi] Décision n° 17/52863 du TGI Paris, 20/04/2017, Rugby Club Toulonnais.