La société CLINIQUE, largement connue comme fabricant et distributeur de produits cosmétiques, est à ce titre titulaire de la marque de l’Union européenne « CLINIQUE », protégée notamment pour des cosmétiques en classe 3.
La société WB Technologies a quant à elle déposé deux marques françaises « Clinique digitale » et « La Clinique digitale », pour des services de conseils de beauté en classe 35, et s’apprêtait à lancer une application pour smartphone sous cette dénomination, dédiée à de tels services.
S’en est alors déclaré un véritable combat juridique entre les deux parties.
Dans un premier temps, CLINIQUE a formé opposition contre ces deux dépôts, sur la base de l’existence d’un risque de confusion. L’Office français a toutefois rejeté ces actions, au vu de l’existence de différences entre les signes. Suite à l’appel formé par CLINIQUE, la Cour d’appel a suivi cette décision pour la première marque contestée, mais a rejeté la seconde marque « La Clinique digitale » au vu de l’effet de déclinaison vis-à-vis de la marque « CLINIQUE ».
Dans un second temps, constatant toujours l’usage de ces signes par WBT pour promouvoir des services de conseils beauté et la future application, CLINIQUE l’a assignée devant le juge des référés afin de faire cesser cet usage.
Le juge des référés, bien qu’ayant reconnu la renommée de la marque de l’UE « CLINIQUE », a rejeté sa demande aux motifs que la preuve d’un lien entre les signes concernés, effectué par le public, n’était pas suffisamment rapportée (décision du 16 décembre 2016).
CLINIQUE a de nouveau fait appel de cette décision. Malgré avoir reconnu la distinctivité et la notoriété de la marque antérieure, ainsi qu’un public concerné en partie commun, la Cour d’appel a rejeté cet appel considérant les différences entre les signes pris dans leur ensemble, et la notable différence entre les produits et services proposés. Dès lors, il n’en découle aucun risque de confusion, et de lien possible entre les marques (décision du 20 juin 2017).
Suite à un pourvoi en cassation, CLINIQUE a finalement obtenu gain de cause puisque la Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel n’avait pas recherché si les produits et services proposés par l’utilisation de nouvelles technologies par WBT, et ceux désignés à l’enregistrement de la marque antérieure, ne présentaient pas un caractère complémentaire pouvant conduire le public visé à leur attribuer une origine commune (décision du 27 mars 2019).
L’affaire est donc renvoyée devant la cour d’appel de renvoi, qui, par une décision du 6 novembre 2020, a eu l’occasion d’apprécier le risque de confusion entre les deux marques en analysant concrètement l’usage de celles-ci, plutôt que de s’en tenir au strict libellé des marques.
Comparaison des signes
Elle relève tout d’abord que la marque de l’UE « CLINIQUE » est une marque de renommée au sens des dispositions européennes, pour des produits cosmétiques, ce qui a pu être démontré grâce aux éléments suivants :
- Sondages et classements ;
- Site internet attirant plus de 1.2 million de visiteurs ;
- Réseaux sociaux réunissant plus de 14 millions d’abonnés ;
- Marque présente dans plus de 130 pays du monde entier, et dans 16 000 points de vente ;
- 100 millions de dollars d’investissements promotionnels en 2016 ;
La Cour d’appel considère de plus que la marque « CLINIQUE » est distinctive, puisque dans son sens commun le terme se rattache à l’exercice de la médecine, et présente dès lors un caractère arbitraire pour désigner des produits cosmétiques.
En découle dès lors un degré de similitude élevé entre les signes « CLINIQUE » et « Clinique Digitale », le terme « digitale » ne venant que qualifier le terme « clinique » au sein du signe contesté.
Comparaison des produits et services
La Cour d’appel de renvoi relève qu’il existe un lien indirect entre les produits et les services en cause. Les services de beauté désignés sous les signes « CLINIQUE DIGITALE » présentent néanmoins un lien de complémentarité avec les produits cosmétiques, puisqu’ils permettent de guider l’utilisateur dans les choix qu’il lui appartiendra de faire lors de ses achats.
Elle ajoute que ce lien est d’autant plus renforcé que WBT avait annoncé investir dans la Recherche & Développement de cosmétique, visant à créer une nouvelle offre.
Par conséquent, la Cour d’appel de renvoi considère que le public fera nécessairement un lien entre les marques « CLINIQUE » et CLINIQUE DIGITALE », ce qui le conduira à attribuer aux produits et services proposés une origine commune, ou comme provenant d’entreprises économiquement liées.
La société CLINIQUE a donc été autorisée à demander en référé des mesures d’interdiction à l’égard de WBT afin de faire cesser cette atteinte.
Quelle(s) conséquence(s) pour vos marques ?
- Une première décision défavorable ne clôture pas un litige puisque force est de constater que la société CLINIQUE a finalement pu obtenir gain de cause après un long combat juridique face à la société WBT ;
- Cet arrêt permet de donner des pistes et des critères relatifs aux documents déposés qui seront pris en considération dans l’appréciation de la renommée d’une marque ;
- La Cour ayant retenu les futurs investissements en R&D de la société WBT pour caractériser le lien entre les marques, il est important de rester vigilant à toutes les activités faites en parallèle d’un dépôt de marque et à la communication qui en est faite, puisque tout peut être retenu pour ou contre nous.
Emma BROSSARD – Juriste en Propriété Industrielle