Décision « PLOMBIR » : Invalidité d’une marque de l’Union européenne et réaffirmation des critères de distinctivité

Le 18 juin 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt qui confirme la décision du Tribunal de l’Union européenne en reconnaissant le caractère descriptif d’une marque ayant une signification en russe.

Pour rappel, le Règlement de l’Union européenne 2017/1001 du 14 juin 2017, qui s’applique en l’espèce, prévoit en son article 7 « 1. Sont refusés à l’enregistrement : c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci […]

  1. Le paragraphe 1 est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union.».

 Cette disposition permet d’éviter qu’un titulaire ne monopolise l’utilisation d’un terme descriptif au détriment d’autres titulaires qui ont besoin de ce terme pour décrire leurs produits ou services.

Dans cette décision, la Cour a précisé la notion de « partie de l’Union » : il peut s’agir d’un territoire plus restreint que le territoire d’un Etat membre à savoir une communauté linguistique.

En l’espèce, la société allemande Dovgan GmbH était titulaire de plusieurs marques allemandes et de l’UE contenant le terme ” Plombir ” principalement enregistrées en classes 29 et 30 pour, notamment, des glaces comestibles.

La société commercialisait principalement ses produits en Allemagne.

Sur la base de ses marques enregistrées, la société Dovgan GmbH a tenté d’interdire l’utilisation du terme « Plombir » par des tiers.

En 2014, cette marque a alors fait l’objet d’une procédure de nullité partielle par la société Monolith Frost GmbH au motif que le terme « Plombir » traduction du mot “Пломбир” signifiant “glace” en russe, ne devait pas faire l’objet d’un monopole et devait être maintenu à la disposition du public.

La partie adverse soutenait en effet que la marque était purement descriptive pour des produits à base de crème glacée et ne pouvait pas servir de marque enregistrée.

Pour se défendre, la société Dovgan GmbH soutenait que la langue russe n’était pas suffisamment établie sur le territoire de l’Union européenne pour être prise en compte.

Les offices et les tribunaux ont longtemps débattu sur le caractère descriptif de cette marque pendant de longues années.

L’action en nullité a en effet été acceptée par la division d’annulation de l’EUIPO le 14 juillet 2015 puis rejetée par la quatrième chambre des recours avant d’être de nouveau validée par le Tribunal de l’Union européenne.

La Cour de justice de l’Union européenne confirme cette décision.

Que retenir de la décision :

Le Tribunal a appuyé sa décision sur les points suivants :

  • Une partie importante de la population allemande parle le russe puisqu’une population russophone importante réside en Allemagne.
  • Il est de fait notoire qu’une proportion importante des ressortissants des Etats baltes parle également le russe de façon courante.

Le Tribunal a alors conclu que le public pertinent à prendre en compte était le public russophone englobant une majorité de ressortissants allemands et des Etats baltes.

Il a également ajouté que les consommateurs russophones avaient l’habitude de traduire les mots russes en caractères latins.

Compte tenu de tous ces éléments, la juridiction a estimé que le terme « Plombir », translittération du mot “Пломбир”, était descriptif puisqu’il serait immédiatement et directement compris par ce public pertinent ainsi défini. Le Tribunal a ainsi annulé la marque pour les produits à base de crème glacée.

La Cour de justice de l’Union européenne a confirmé cette décision.

Et après ?

Cette décision confirme qu’un signe peut être exclu de la protection par le droit des marques même si le motif absolu de refus dont il est entaché n’existe que dans une partie d’un État membre de l’Union européenne.

A travers cette décision, la Cour de justice de l’Union européenne confirme l’extrême rigueur de la distinctivité des marques communautaires. On pourrait se demander si des dépôts nationaux ne pourraient pas être plus protecteurs dans certains cas.

Cette décision pourrait également être transposée à d’autres cas. On pourrait donc bientôt envisager des décisions semblables pour d’autres langues telles que le chinois ou le japonais à mesure que le public qui comprend ces langues au sein de l’Union européenne ne cesse de croître.

 

Elodie GARREAU – Juriste en propriété industrielle

CJUE, n° C-142/19, Arrêt de la Cour, Dovgan GmbH contre Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), 18 juin 2020