Salariés sous vidéo-surveillance – Evitez l’impact en droit social des non-conformités au RGPD !

De nombreuses entreprises en France n’ont pas encore pris soin de travailler sur la conformité de leur traitement de données personnelles au RGPD et à la loi informatique et libertés, malgré le fait que cette réglementation soit connue depuis 2016 et entrée en vigueur en 2018 soit depuis plus de 3 ans.

Parmi les traitements les plus courants dans les entreprises se trouvent ceux liés à la vie des collaborateurs, qui sont le plus souvent rendus nécessaires par des obligations légales ou par les obligations contractuelles qui lient l’employeur à ses employés. On retrouve également de manière très fréquente la mise en place de systèmes de vidéosurveillance par les entreprises qui, dans l’objectif d’assurer la sécurité des biens et des personnes, viennent filmer (voir écouter) les salariés, de façon plus ou moins large et plus ou moins constante.

Strictement sur le plan du respect de la réglementation vie privée, la CNIL et les autres autorités européennes ont déjà eu souvent à se pencher sur la légalité des systèmes de vidéosurveillance mis en place par les entreprises et sont souvent venues reprocher la non-conformité des systèmes aux employeurs concernés.

À ce sujet, les griefs qui ressortent le plus souvent portent sur :

# les lieux filmés par les caméras / leur orientation : une décision de l’autorité suédoise du 10 juin 2021 condamnait ainsi le service des pompiers d’Östra Skaraborg qui filmait le vestiaire où les pompiers changeaient de vêtements,

# la permanence de la prise d’image : un restaurant a ainsi été condamné le 13 mai 2021 par l’autorité norvégienne pour avoir filmé la salle de restaurant (donc les clients et employés) en continu, 24h/24,

# la durée de conservation des données : la CNIL avait par exemple mis en demeure l’Institut des techniques informatiques et commerciales (ITIC) de réduire à 30 jours la durée de conservation des images

# l’absence de contrat conforme avec le sous-traitant ayant accès aux données : la société Boutique.Aéro a été mise en demeure par la CNIL en novembre 2019 notamment pour cette non-conformité,

# l’accès aux images par des personnes non autorisées : les étudiants d’une école sanctionnée en 2018 accédaient instantanément aux images des caméras des locaux via l’intranet.

# l’information absente ou insuffisante des personnes concernées : en Finlande une société de taxi a été sanctionnée en mai 2020 avec une amende de 72K€ car l’information communiquée n’était pas suffisante, notamment sur le fait que les conversations étaient enregistrées ou sur la façon d’obtenir des informations complémentaires sur les données ainsi collectées. En juin 2019, la CNIL condamnait également une société de traduction constatant qu’elle n’avait fourni aucune information formelle aux salariés concernant le dispositif de vidéosurveillance mis en place.

Ceci étant, dans les affaires concernant la vidéo-surveillance des salariés, on constate que les sanctions de la CNIL sont souvent assez faibles financièrement ou même le plus souvent limitées à des mises en demeure de se mettre en conformité.

Pourtant dans ce type d’affaire, le risque pris par les entreprises peut dépasser la réglementation vie privée et impacter d’autres secteurs du droit, tel que le droit social.

C’est ce qu’a rappelé récemment la chambre sociale de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 juin 2021. L’affaire portait ici sur le licenciement d’un salarié, en l’occurrence le cuisinier du restaurant, qui avait fait l’objet d’un avertissement par son employeur lui reprochant plusieurs absences injustifiées ainsi que des manquements aux règles d’hygiène et de sécurité en cuisine. L’employeur l’informe à cette occasion de son souhait de mettre notamment en place rapidement un système de vidéosurveillance avec pour finalité d’éviter la reproduction des manquements commis par le salarié en cuisine.

À la suite de son licenciement pour faute grave, le salarié a saisi la juridiction prud’homale afin que son licenciement soit prononcé sans cause réelle et sérieuse, demandant que les images prises via la vidéo-surveillance du restaurant ne soient pas prises en compte en tant que preuve contre lui.

Or, le salarié a obtenu gain de cause. En effet, la Cour de cassation a retoqué la Cour d’appel qui avait jugé que les images issues de la vidéosurveillance ne pouvaient être opposées au salarié qui n’avait pas été informé de manière complète du système de vidéosurveillance (il connaissait en effet son existence et sa finalité mais n’avait reçu aucune information sur les destinataires des images et les modalités de l’exercice de ses droits).

En revanche, la Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel avait justement retenu que le salarié, qui exerçait seul son activité en cuisine, était soumis à la surveillance constante de la caméra qui était installée et que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance ne pouvaient lui être opposés car ils étaient attentatoires à la vie personnelle du salarié et disproportionnés par rapport au but allégué par l’employeur (sécurité des personnes et des biens).

Cela signifie que si l’employeur n’a pas communiqué d’information à ses salariés sur la vidéo-surveillance en place, il ne pourra utiliser ces images comme preuves, par exemple dans le cadre d’un licenciement. Dans tous les cas, la surveillance permanente et constante du salarié est souvent considérée comme disproportionnée par rapport à la finalité recherchée. Il faut donc veiller à trouver un système équilibré de surveillance qui ne soit pas inutilement attentatoire à la vie privée des collaborateurs.

Ce qu’on peut en retenir :

Evidemment, les entreprises ont tout intérêt à mettre leurs activités de traitement de données personnelles en conformité avec la réglementation et il est prudent de ne pas laisser traîner ce sujet qui peut engendrer des procédures de contrôles longues et stressantes engagées par la CNIL, voir des mises en demeure, des amendes et une mauvaise image pour l’entreprise sanctionnée publiquement. Mais en dehors même des risques vis-à-vis de la réglementation vie privée, le risque pris par les entreprises ne se limite pas à une potentielle amende de la CNIL. En effet, le respect de la règlementation en matière de données personnelles peut également avoir un impact en droit social et des effets négatifs insoupçonnés par exemple dans la gestion de la sortie litigieuse d’un collaborateur.

Notre équipe dédiée à la Vie Privée est bien entendu à votre disposition pour vous apporter son éclairage expert sur la conformité de vos systèmes de vidéosurveillance et de vos traitements de données en matière RH.

Pour en savoir plus :

Notre Fil d’actu aux 23/06/21 – 10/06/21 – 13/05/21 – 26/05/20 – 05/11/19 – 02/09/19 – 13/06/19 : https://ip-talk.com/accueil/rgpd/

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