Nous avons vu cette année de nombreuses décisions où des marques ont été annulées pour défaut d’exploitation alors même qu’elles étaient exploitées. Quel est donc le problème ? En réalité, les causes de non prise en compte de preuves d’usage peuvent être nombreuses mais une nous parait particulièrement symptomatique : il s’agit de l’exploitation sous une forme modifiée.
La situation est simple : la marque est déposée sous la forme A mais exploitée sous une forme A’’. Or, les juges vont être amenés à considérer que A’’ est substantiellement différent de A (ce qui n’aurait pas été le cas de A’). Donc les preuves de l’usage A’’ ne vont pas valider A et la marque A sera déchue.
Deux questions pour bien comprendre les enjeux de cette situation :
- Quel est le degré de différences entre A et A’’ ?
La jurisprudence avait coutume de considérer que A’’ était différent de A lorsqu’il existait une différence entre les deux, ce qui revenait à dire que des différences mineures n’étaient pas prises en compte. La nouveauté, récente, consiste à ce que même des différences faibles soient suffisantes pour que les juges et administrations considèrent que l’usage est différent de la marque enregistrée.
La difficulté de la situation réside donc précisément dans le fait que la plupart des gens non informés (par exemple du marketing, du commercial ou même des juristes non spécialisés) ne vont pas voir de différences et donc ne vont pas pouvoir anticiper le problème.
Pour bien mesurer la question, les exemples d’usage ci-dessous ont été jugés comme ne valant PAS usage de la marque déposée en raison de modifications altérant le caractère distinctif :
- Quelles sont les conséquences de cette déchéance ?
Car justement les conséquences peuvent être très lourdes et affecter non pas l’exercice du droit mais tout simplement son existence : en effet, si l’usage A’’ est jugé différent de la marque A, alors par hypothèse l’action en déchéance engagée par un tiers va prospérer et la marque A va être déchue.
Mais si un tiers a fait cette action en déchéance contre A, c’est que c’est un signe qui l’intéresse, le plus souvent avec une variante non éloignée comme A’. Et, il est donc assez probable que ce tiers aura déposé le A’.
Après la déchéance pour non usage de la marque A, il reste donc le droit A’ de ce tiers qui est proche de l’exploitation A’’ (non déposée) qui en devient donc potentiellement une contrefaçon. Ainsi, non seulement le propriétaire de A perd sa marque A mais il voit aussi son exploitation A’’ pouvoir être remise en cause et devoir la stopper.
Or, cette situation peut être évitée assez simplement en obtenant l’enregistrement de la forme A’’ qui est exploitée, avant l’expiration de A, ceci n’augmentant pas le budget de gestion puisqu’il conviendra de ne pas renouveler A à son échéance.
Un autre exemple de situation complexe concerne les marques en couleurs : en effet, les enregistrements en noir et blanc ne couvrent plus automatiquement toutes les couleurs. Là aussi, il faudra examiner si l’utilisation en couleur altère ou non le caractère distinctif de la marque en cause afin de déterminer si les preuves d’usage d’une marque en couleurs peuvent valider une marque déposée en N&B.
Quelles bonnes pratiques adopter ? c’est finalement assez simple, il faut protéger les marques exploitées et ne pas hésiter à ne pas renouveler les marques obsolètes ! Ceci suppose donc de vérifier régulièrement les usages en cours et de comparer à a son portefeuille pour prendre les bonnes décisions.
Eric SCHAHL – Associé Dirigeant / Clotilde PIEDNOËL – Conseil en Propriété Industrielle