L’aménagement intérieur d’un espace commercial, relevant d’un concept spécifique, désormais protégé aussi par le droit des marques depuis l’arrêt de la CJUE de juillet 2014.
« Les concepts ne se protègent pas » : précepte entendu et diffusé largement des professionnels en tous genres. Nous ne pouvons nous résoudre à admettre cela, compte tenu de l’arsenal des outils juridiques existant notamment en France.
Il est par ailleurs difficile d’expliquer à une enseigne, s’agissant notamment des concepts architecturaux et plus spécifiquement des aménagements intérieurs de magasin, que les investissements réalisés avec le travail combiné d’architecte, designer, ingénieur, décorateur etc… ne puissent pas être juridiquement protégés.
Cette protection participe de son exclusivité et donc de sa valorisation.
Fondements juridiques classiques de protection
Outre le droit des contrats, les outils juridiques utilisés et reconnus jusqu’à présent par la jurisprudence pour ce faire sont liés soit au droit d’auteur pour les éléments ou concepts particulièrement originaux, soit des principes de concurrence déloyale ou parasitisme sous réserve de prouver notamment un préjudice.
La société Apple dont le succès commercial des innovations ne cesse de croitre depuis bientôt cinquante ans vient de marquer une évolution significative en matière de protection juridique des concepts de magasin : une nouvelle innovation en la matière !
Ainsi, comment ignorer l’existence des Apple Store, ces grands espaces clairs qui mettent en lumière les produits de la marque ? D’abord réservé aux grandes villes, les Apple Store se sont implantés partout dans le monde ces dernières années sans jamais cesser: après environ 425 boutiques déjà d’ouvertes dans le monde, les rumeurs révèlent la possible ouverture du plus grand Apple Store du monde aux Emirats-Arabes-Unis[1].
Protection élargie au droit des marques ?
Pour protéger son concept, Apple Inc. a déposé et obtenu l’enregistrement aux Etats-Unis en 2010 de la marque suivante, en classe 35 pour des « services de commerce de détail relatifs aux ordinateurs, logiciels, périphériques, téléphones portables, électronique grand public et accessoires et démonstration de produits y relatifs » :
Cette marque a fait l’objet d’extensions territoriales, via une demande de marque internationale (visant notamment la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest, ainsi que la Norvège, le Japon, la Corée du Sud, Singapour, Russie et Turquie). La plupart des Offices ont alors émis des objections et un rapport de rejet total provisoire de la demande d’enregistrement.
Plus particulièrement, l’office allemand des marques a, en premier examen, rejeté cette demande d’enregistrement pour défaut de distinctivité et de garantie d’origine des services, le « consommateur ne saurait appréhender un tel aménagement comme une indication de l’origine des produits ».
Sur appel d’Apple Inc. auprès de la Cour fédérale allemande, une question préjudicielle a été posée devant la Cour de Justice Européenne (CJUE) :
« Est-ce que la représentation de l’aménagement d’un espace de vente par un simple dessin dénué de toute indication de taille et de proportion peut être enregistrée comme marque pour des services qui visent à amener le consommateur à acheter les produits de l’auteur de la demande d’enregistrement et si, dans l’affirmative, une telle «présentation matérialisant un service» peut être assimilée à un « conditionnement » ?
Acceptation large de la distinctivité par la CJUE
Dans sa décision du 10 juillet 2014, la CJUE répond positivement en précisant que «la représentation, par un simple dessin sans indication de taille ni de proportions, de l’aménagement d’un espace de vente de produits peut être enregistrée comme marque pour des services consistant en des prestations qui sont relatives à ces produits mais ne font pas partie intégrante de la mise en vente de ceux-ci, à condition qu’elle soit propre à distinguer les services de l’auteur de la demande d’enregistrement de ceux d’autres entreprises », et fait enregistrer ce signe à titre de marque
Elle considère ainsi que la représentation visualisant l’aménagement d’un espace de vente au moyen d’un ensemble de lignes, de contours et de formes peut constituer une marque, à condition qu’elle soit distinctive. Ce dernier critère sera évalué au regard de la norme et des habitudes relatives au secteur d’activité visé.
Cet arrêt doit maintenant embrayer le pas sur les différentes extensions géographiques désignées.
D’autres entités avaient par le passé, tenté, comme Apple, d’élargir le champ de protection des marques à des représentations de magasin, mais sans succès.
Ainsi, en France, l’enregistrement de la marque suivante, notamment en classe 3 présentant une photographie de l’intérieur du concept Séphora (innovant à l’ époque) s’est vu annulé
La Cour de cassation (Cass. Comm, 11 Janvier 2000, pourvoi n° 97-19.605, Sephora c/patchouli Valence) a confirmé l’arrêt d’appel selon lequel le signe ainsi déposé est dépourvu de distinctivité puisque qu’il représente « l’intérieur d’un magasin avec de très nombreux éléments, sans qu’on puisse déterminer lesquels d’entre eux seraient distinctifs pour désigner des services de conseils aux particuliers en matière de parfumerie ; (…) que certaines des formes identifiables sont purement fonctionnelles et nécessaires à l’exposition de produits de parfumerie, et que d’autres ne sont pas identifiables »
De même, en Suisse cette fois-ci, le dépôt notamment en classe 30 de l’intérieur d’un magasin déposé par M. Stephan PRIVAT :
a été purement et simplement rejeté par l’office des marques Suisse (date ….) pour manque de distinctivité, ce dépôt ne pouvant garantir la fonction de garantie d’origine de la marque.
Quelles conclusions tirer de la décision de la CJUE ?
Se pose donc la question de savoir quels éléments seraient distinctifs dans l’image d’un magasin et reproduits « suffisamment clairement» pour être appropriables à titre de marque.
Un début de réponse vient d’être apporté par la CJUE en retenant les critères suivants :
– Un ensemble continu de lignes, de contours et de formes (…)
– (…) présentant des particularités qui le distingue de l’aménagement habituel des espaces de vente dans ce secteur économique, pour un consommateur avéré du marché
– Et apprécié in concreto au regard des produits et services libellés, en l’espèce un libellé limité aux services de la classe 35.
Le cas d’Apple apporte une réponse, bien qu’incomplète malheureusement : la précision « suffisante » de sa marque pourrait relever du fait qu’il ne s’agit pas ici d’une photo mais d’une représentation graphique, très épurée, sous forme de plan 3D.
Cependant, compte tenu de l’agencement des éléments au sein du signe, ceux sur lesquels la protection met l’accent, sont flous.
Ce flou ne devrait-il pas être compensé par une description plus précise accompagnant le dépôt avec une identification plus claire des éléments relevant de la fonction de la marque ? Dans ce cas, il faudra néanmoins éviter de confondre le critère de distinctivité avec celui de l’originalité voire de la nouveauté.
La suite au prochain épisode puisque la marque internationale d’Apple va très certainement être enregistrée au moins dans tous les pays de l’Union Européenne, et ouvrir donc la porte à une protection élargie des concepts !
Pour en savoir plus sur la protection de concept, contacter l’équipe LEXCONCEPT