Le 1er juin dernier, à l’occasion des Rendez-Vous de la Stratégie PI, les experts d’INLEX évoquaient diverses problématiques liées à la propriété intellectuelle face aux défis de l’économie. En particulier : la question de la protection de la valeur économique de l’idée sur internet.
Avec le développement de l’activité digitale, il est en effet important pour les acteurs de l’économie de savoir ce qu’ils peuvent protéger et ce sur quoi porte la valeur de leur création. Que le site internet soit un site marchand ou un site vitrine : présentation, concept, méthode d’organisation, combinaison textuelles et graphiques, informatiques ou sonores, sont autant d’éléments susceptibles d’être repris par les tiers.
Si la voie du droit d’auteur n’est pas toujours accessible, l’exploitant dont le site se trouve copié n’est pas pour autant dépourvu de toute protection. L’article 1382 du Code civil (qui deviendra sous peu l’article 1240, conformément à la réforme du droit des contrats) condamne de manière générale les comportements « contraires aux usages normaux du commerce » et s’avère ainsi être très utile.
Typiquement, on pense à la concurrence déloyale, qui sanctionne l’existence d’un risque de confusion. Mais il existe une autre voie, elle aussi tiré de l’article 1382, et fréquemment confondue avec la concurrence déloyale du fait de leur fondement commun : le parasitisme.
Qualifié de concurrence parasitaire lorsqu’il oppose des concurrents, ou simplement d’agissements parasitaires dans les autres cas, le parasitisme « consiste pour un agent économique à s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ».
Le Tribunal de Commerce de Paris, en retenant « l’inspiration de la valeur économique » pour condamner l’exploitant d’un site Internet s’inspirant à l’excès d’un site préexistant, est venu apporter quelques éclaircissements sur la question (TC Paris, 15e ch., 28 sept. 2015).
A l’origine de cette affaire, la société Sound Strategy. Spécialisée dans la communication sonore des entreprises, cette société exploite un site Internet sur lequel elle propose des messages vocaux destinés à l’accueil téléphonique des PME. L’objet du litige : un nouveau site Web concurrent, un peu trop similaire au sien, édité par la société Concepson… Et c’est sur le terrain du parasitisme que Sound Strategy choisit d’orienter le débat.
Saisi de l’affaire, le Tribunal pose les bases de son argumentation en rappelant que, bien que la concurrence déloyale et le parasitisme soient fondés sur le même article, ces deux actions sont caractérisées par application de critères distincts, « la concurrence déloyale l’étant au regard du principe tiré du risque de confusion étranger à la concurrence parasitaire qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentielle, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements ».
Un certain nombre de décisions sont depuis venues confirmer ce principe désormais fondamental, à commencer par la jurisprudence Onvasortir.com (CA Paris, Pôle 5 – Chambre 4, 7 oct. 2015).
Dans cette affaire, le défendeur soupçonné de pillage avait tenté de prétendre que « les éventuelles ressemblances entre les sites [résultaient] uniquement d’éléments fonctionnels, présents dans de nombreux sites », et que les termes ou fonctions revendiqués par le demandeur, en tout état de cause banals, étaient inhérents au fonctionnement d’un site de sorties comme celui exploité en l’espèce.
La Cour d’appel ne mord pas pour autant. Elle signe et confirme : la reprise systématique des éléments composant un site internet constitue bel et bien un acte de parasitisme.
On en déduit qu’un acte de parasitisme est fautif lorsque, en portant atteinte à la valeur économique d’un tiers, il rompt l’égalité entre les intervenants. Et ce indépendamment de tout risque de confusion, contrairement à la concurrence déloyale.
Encore faut-il définir la valeur économique créée, notion au centre de cette définition prétorienne du parasitisme.
Dans l’affaire Sound Strategy, on la retrouve dans « le cheminement de la commande, la structure de certains écrans, le choix des messages, le recours à la voix d’acteurs, le paiement et le mode de livraison ». Chez Onvasortir.com, dans « les pages d’accueil […], le plan, le contenu, le nom et l’agencement des rubriques ».
Cette valeur économique n’est pas protégée par un droit spécifique, mais elle est le fruit d’un investissement, qui peut être publicitaire, économique, intellectuelle, etc. Parfois, cette valeur économique sera la notoriété d’un site Internet, qu’un concurrent tentera de détourner.
En l’espèce, le Tribunal retient dans l’arrêt Sound Strategy que la demanderesse justifie avoir réalisé des investissements importants pour la réalisation de son site internet, et que Concepson ne justifie en rien avoir entrepris des investissements analogues. Le trouble commercial est caractérisé : du fait du détournement des investissements de Sound Strategy par Concepson, celui-ci peut se permettre de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux de son concurrent, et en tire à l’évidence un avantage concurrentiel.
La Cour d’appel de Paris, dans un autre arrêt encore plus récent (CA Paris, pôle 5 ch.2, 15 avr. 2016), va plus loin : « le fait que la société intimée justifie, de son côté, des dépenses exposées pour créer son propre site n’est, pas en soi, de nature à écarter le grief de parasitisme » ! En l’espèce, le parasitisme est bel et bien constitué. La Cour développe : la société défenderesse a adopté une présentation de son site que rien n’imposait, employant une stratégie commerciale tendant à rechercher une proximité avec le commerce en ligne de son concurrent. Ce faisant, elle a faussé le jeu d’une saine concurrence.
Nul besoin d’apporter la preuve d’un risque de confusion. Pas non plus besoin de prouver la notoriété du site copié, comme tentait de le faire valoir le défendeur dans l’affaire Sound Strategy. Le Tribunal va même plus loin et retient que « l’existence sur le marché de sites ressemblant à celui de Sound Strategy ou de la banalité supposé de son concept ne sont pas de nature à démontrer l’absence de parasitisme alors que le seul fait de s’inspirer de la valeur économique de Sound Strategy, qui a réalisé des investissements suffit à dénoter un agissement parasitaire ».
- Lorsqu’on s’engage dans un dossier de parasitisme, la première chose à faire sera donc d’identifier les éléments qui représentent une valeur économique, que ce soit à titre individuel ou dans un ensemble, afin d’être capable de justifier des investissements consacrés à leur réalisation.
En outre, toujours dans l’affaire Sound Strategy, le Tribunal considère qu’il « s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de concurrence déloyale ». Qui dit préjudice, dit réparation. En l’espèce, la société Concepson est condamnée à verser à son concurrent la somme de 5.000 €, bien que la société Sound Strategy n’ai communiqué, selon le Tribunal, aucun élément sur la baisse éventuelle de son chiffre d’affaire ni sur les profits qu’aurait tiré Concepson.
Si la condamnation semble automatique, on retient que le montant de celle-ci est reste assez modique. Dans ce type de demande, les sanctions pécuniaires ordonnées par le juge et restent toujours en deçà du préjudice réellement subi. Ce qui est d’autant plus dommage en l’espèce que la société Sound Strategy n’a pas jugé utile de demander au Tribunal la cessation du trouble.
- Devant le juge, il ne faut donc pas se contenter de réclamer des dommages et intérêts, mais toujours veiller à exiger la modification des éléments qui ont causé le préjudice. Tout se jouera dans la préparation du dossier. Demander le retrait de l’intégralité de la page litigieuse serait disproportionné : il faut au contraire définir en amont les éléments forts du concept et identifier très précisément la valeur économique détournée, pour avoir une chance de voir la demande accueillie.
Pour plus d’informations, nous vous invitons à contacter les auteurs :
- Caroline JOUVEN (CPI – Directrice pôle LexRetail)
- Selma FERFERA (Juriste IP) : sferfera@inlex.com