L’arrêt du TPICE du 17 septembre dernier constitue une nouvelle illustration de la difficulté de concilier les droits de propriété intellectuelle avec les principes de libre concurrence. En effet, la propriété intellectuelle constitue par principe une atteinte à la libre concurrence et la recherche d’un équilibre entre ces deux droits, par nature antagonistes, est difficile à trouver.
En l’espèce, suite au refus de MICROSOFT de communiquer à SUN MICROSYSTEM les spécifications techniques relatives aux systèmes d’exploitations Windows et d’utiliser ces spécifications pour développer et commercialiser des systèmes d’exploitation concurrents, cette dernière avait déposé une plainte devant la Commission Européenne pour abus de position dominante. La Commission Européenne a constaté la violation par Microsoft de l’article 82 du Traité CE en commettant un abus de position dominante et l’a condamné au paiement d’une amende de 497 millions d’euros et à la mise en place de mesures correctives de son comportement abusif. MICROSOFT a donc formé un recours de la décision de la Commission devant le TPICE, lequel a confirmé la décision de la Commission Européenne.
En l’espèce, deux comportements de Microsoft étaient en cause : ¢ Le refus par Microsoft de fournir à SUN MICROSYSTEMS, et de manière générale aux entreprises concurrentes, certaines informations techniques et d’en autoriser l’usage pour le développement et la distribution de produits concurrents aux siens sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail. ¢ La vente liée du lecteur multimédia Windows Media Player avec le système d’exploitation Windows pour PC.
La question posée au TPICE était donc de savoir si les comportements susvisés étaient constitutifs d’un abus de position dominante. Le TPICE ayant reconnu la position dominante de Microsoft sur le marché en cause, il se prononce successivement sur les deux problématiques d’abus : 1. Sur le refus de fournir des informations techniques Se trouvent ainsi en conflit les droits de propriété intellectuelle de Microsoft sur les technologies auxquelles ses concurrents demandent l’accès et les principes de la libre concurrence.
Afin de concilier ces deux branches du droit, la jurisprudence a considéré que, dans certaines circonstances exceptionnelles, les principes du droit de la concurrence justifient une atteinte aux droits de propriétés intellectuelles. Ces circonstances exceptionnelles sont rappelées dans l’arrêt d’espèce et le TPICE énonce ainsi que pour être qualifié d’abus de position dominante, le refus du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle d’octroyer à un tiers une licence pour l’utilisation d’un produit doit réunir trois circonstances : Le refus doit porter sur un produit ou service indispensable pour l’exercice d’une activité sur un marché voisin. En l’espèce la question est de savoir si les informations auxquelles Microsoft refusait l’accès sont indispensables pour le développement de produits concurrents.
Intervient alors le critère de l’interopérabilité entre les produits en cause et donc la capacité pour ceux-ci d’échanger des informations et d’utiliser mutuellement ces informations afin de permettre à chacun de ces produits logiciels de fonctionner de toutes les manières prévues. Ce critère est très important puisque du degré d’interopérabilité requis dépend l’atteinte au droit de propriété intellectuelle en cause. En effet, plus le degré d’interopérabilité requis est élevé, plus l’atteinte est importante.
En l’espèce, la Commission, dont l’argumentation est reprise par le TPICE, considère que les produits en cause doivent interopérer sur un pied d’égalité de sorte que le degré d’interopérabilité est élevé. La limite avec le plagiat peut paraître ténue et c’est d’ailleurs ce que soutenait Microsoft considérant que la communication des informations en cause revenait à donner à ses concurrents toutes les informations permettant de copier littéralement ses systèmes d’exploitation.
Néanmoins, tout est question de circonstances et l’exigence d’un tel degré d’interopérabilité s’explique notamment par le particularisme du marché concerné à savoir les systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail.
En effet, l’arrêt Microsoft ne remet pas en cause la règle, à savoir, que même en position dominante, une entreprise peut choisir ses partenaires commerciaux et peut donc en principe décider de donner ou non en licence ses droits de propriété intellectuelle et à qui elle le souhaite.
Le refus doit être de nature à exclure toute concurrence effective sur le marché en cause. La jurisprudence est constante sur ce point, le simple risque suffit. Ainsi, au regard de l’ensemble des éléments d’étude du marché en cause, le TPICE considère en l’espèce que le refus de Microsoft risque d’éliminer la concurrence.
Le refus doit faire obstacle à l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs. En l’espèce, le TPICE reprend l’argumentation de la Commission selon laquelle l’absence d’interopérabilité entre les systèmes de Microsoft et les systèmes concurrents impliquent qu’un nombre croissant de consommateurs sont enfermés dans une solution homogène Windows et en conclue que le refus de Microsoft limite le développement technique au préjudice des consommateurs. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu des circonstances exceptionnelles susvisées, les droits de propriété intellectuelle de Microsoft ne constituent pas, en l’espèce, une justification objective de son refus, lequel constitue donc un abus de position dominante. 2. Sur la vente liée du lecteur multimédia Windows Media Player avec le système d’exploitation Windows pour PC Le TPICE rappelle les critères permettant de qualifier d’abusive une vente liée : L’entreprise en cause détient une position dominante sur le marché du produit liant ¢ Le produit liant et le produit lié sont deux produits distincts ¢ Les consommateurs n’ont pas le choix d’obtenir le produit liant sans le produit lié La pratique restreint la concurrence.
Il convient ici de rappeler que le fait de lier la vente de deux produits n’est pas en soit critiquable, c’est le fait de profiter de sa position dominante sur le marché du produit liant (en l’espèce le système d’exploitation Windows) pour s’approprier un marché voisin (en l’espèce le marché des lecteurs multimédias). En défense, Microsoft soutient que le couplage des deux produits en cause n’empêchait pas le téléchargement et l’utilisation de logiciels concurrents.
Néanmoins, le TPICE, reprenant la position de la Commission, considère qu’une simple tendance à l’élimination de la concurrence suffit et que l’abus est par conséquent caractérisé. Là encore, le TPICE fait une interprétation assez souple de la règle, laquelle s’explique sans doute par le particularisme de l’affaire. En effet, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de Microsoft, société en position « ultra » dominante sur un marché particulier.