De la valorisation financière à la valorisation juridique

Qu’elle soit effectuée en vue d’une simple inscription au bilan ou qu’elle intervienne dans le cadre d’un rachat ou d’une fusion, la valorisation des droits de propriété industrielle est une démarche de plus en plus fréquente. Habituellement associée aux brevets, elle concerne aujourd’hui les marques voir les noms de domaines. Or en matière de valorisation, la prise en compte de la dimension juridique inhérente notamment aux marques constitue un passage obligé pour déterminer une valeur fiable et réaliste. 

« Valoriser » c’est attribuer une ou plusieurs valeurs à un bien. Mais c’est aussi accroitre cette valeur. Les dirigeants ont certes aujourd’hui de plus en plus conscience de la nécessité d’une valorisation de leurs différentes marques. Plusieurs méthodes financières de calcul sont ainsi habituellement appliquées. Mais la seule approche financière comporte un risque inhérent non négligeable. Une valorisation uniquement financière n’est en effet que partielle et peut même s’avérer fausse si la ou les marques valorisées ne sont pas forte juridiquement. Différents aspects du droit des marques doivent donc être intégrés pour que l’évaluation financière et la valorisation juridique s’imbriquent et soient ainsi homogènes et cohérentes. 

La marque…

 Pour valoriser une marque, encore faut-il que juridiquement celle-ci existe. L’expérience montre que la vérification de la réalité et de la consistance du droit sur une marque est un préalable utile et nécessaire. Il n’est pas possible en effet de valoriser une marque si le dépôt ou l’enregistrement font défaut. Le droit sur une marque ne naît juridiquement que si un dépôt a bien été effectué auprès de l’Office des marques concerné (INPI, OHMI, OMPI, Offices nationaux ou régionaux étrangers). Les cas où aucune marque n’existe restent cependant rares en pratique.

 

Les situations où le droit de marque existe mais s’avère en fait bancal sont en revanche plus courantes. Au niveau du propriétaire de la marque, les sociétés d’un même groupe ont souvent tendance à conclure entre elles des contrats de cession de certaines de leurs marques mais sans pour autant accomplir les formalités administratives d’inscription requises auprès du Registre des marques. La conséquence directe est ici l’impossibilité de bénéficier de la valeur de la marque. De la même manière, la titularité de la marque à évaluer doit rester cohérente par rapport à l’architecture habituelle du groupe et à la finalité propre à chacune de ses entités. Dans l’optique d’une évaluation, déterminer si l’entité titulaire de la marque ombrelle et celle détenant la marque produit à évaluer peuvent être distinctes n’est ainsi pas une question anodine notamment au regard de l’effet levier que l’une peut avoir sur l’autre.

Du coté du signe déposé, la correspondance entre le dépôt et l’exploitation qui en est faite sur la marché est le premier paramètre juridique majeur à prendre en compte. L’existence d’altérations, de modifications, d’amputations ou d’aménagements du signe risquent de conduire à la perte du droit s’ils s’avèrent substantiels. Il est également nécessaire de s’assurer que dans le ou les territoires concernés la gamme de produits et/ou de services offerts correspond bien à ceux revendiqués dans le dépôt. L’avis du Conseil en Propriété Industrielle sur la similarité juridique des produits et services exploités avec ceux listés dans le dépôt et à défaut sur la nécessité de procéder à des dépôts complémentaires constitue ici la clé d’entrée pour assoir une véritable valorisation de marque. De la même manière, la mise en relation de l’étendue géographique de l’exploitation avec l’étendue géographique de la protection constitue  le passage obligé pour optimiser une stratégie de marque et intégrer dans la valorisation le chiffre d’affaires réalisé dans ces pays.

 … Toute la marque …

 La plupart des méthodes de valorisation financière des marques tiennent compte des risques que celles-ci peut encourir. Mais ces risques sont liés à la naissance du droit de marque puis à son évolution et ce au regard des dispositions de la loi du pays où la marque à valoriser est déposée ou enregistrée.

Lors de la naissance du droit, le rapport de recherche d’antériorités est une source importante d’informations pour l’évaluation. La sélection des antériorités, leur analyse et la recommandation qui en résulte permettent en effet de circonscrire les risques d’éventuelles oppositions pouvant retarder un enregistrement et anéantir la marque ou encore de déterminer le degré de pollution ou de distinctivité lié au signe choisi. Bien entendu, la pertinence et l’incidence de ce rapport de recherche sont liés à la source dont il émane : l’impact sur la valorisation ne sera pas le même suivant que la recherche émane d’une agence de création ou d’un Cabinet de juristes spécialisés en marques.

 Lors de la vie de la marque, l’analyse des procédures judiciaires et/ou administratives constitue un facteur pouvant être intégré dans la valorisation notamment pour déterminer le pouvoir attractif de la marque (marque souvent contrefaite ou imitée) ou encore niveau de réaction et de réactivité du titulaire lors de la défendre ses droits et donc de la consolidation de son droit.  

 Les perspectives d’évolution commerciale constitue un autre paramètre. Certaines méthodes de valorisation tiennent en effet compte des perspectives de croissance des ventes des produits marqués ou au contraire de leur disparition à partir de la durée de vie estimée du produit. L’identification et la quantification des coûts de renouvellement, des extensions de droits nécessaires, et des moyens pour pallier aux menaces juridiques (comme l’absence d’usage effectif pendant plusieurs années pour certains produits et/ou services revendiqués dans le dépôt) par des juristes sont à cet égard autant d’éléments complémentaires permettant d’effectuer une valorisation cohérente.

 …Mais pas « rien que la marque »

 Pour être réaliste et optimisée, la valorisation d’une marque doit enfin dépasser le strict cadre du dépôt pour s’attacher à l’environnement juridique lié à la marque. L’évaluation initialement envisagée d’une marque peut finalement aboutir à valoriser tout un portefeuille de marques ou une partie seulement d’entre elles. Ainsi, la valorisation d’une marque ombrelle semble à priori la plus facile à concevoir. Mais elle peut en fait se répercuter et/ou intégrer des marques secondaires dont la nature et l’exploitation se situent à des niveaux totalement différents (slogans publicitaires déposés comme marque, marques figuratives protégeant tout ou partie du packaging d’un produit phare, etc…).

 La valorisation d’une marque impose également de prendre en compte les contrats dont elle a pu faire l’objet. Plusieurs méthodes de valorisation exigent en effet d’intégrer les « résultats » attribuables à la marque. Ceci implique d’identifier, de rassembler et d’analyser l’ensemble des conventions qui constituent soit des revenus soit des charges pour cette marque. Le contrat de licence est bien sur typiquement constitutif de revenus. Le taux de redevance prévu dans le contrat permet d’identifier la rémunération du titulaire en contrepartie de l’exploitation concédée. Mais ce taux doit s’apprécier au regard des autres coûts restant à la charge de l’une et/ou l’autre des parties. Le degré de liberté accordé au licencié sur l’exploitation de la marque concédée (dans le choix du packaging par exemple) peut ainsi avoir des conséquences directes sur l’évaluation de la marque. Du coté des charges, les Accords de Coexistence peuvent comportent des éléments grevant la force de pénétration d’une marque sur un territoire donné en raison des restrictions ou des interdictions qu’ils sont susceptibles de comporter et qui doivent être pris en compte lors de la valorisation. 

Conclusion 

Les estimations restent trop souvent cantonnées à une stricte approche financière sans prendre en compte les mécanismes et obligations propres au droit des marques. Or l’existence de risques latents fragilisent voir rendent sans objet le chiffrage qui peut être induit au niveau financier. L’acquéreur d’une marque qui n’a pas été utilisée pendant plus de cinq ans ou qui se trouve en fait grevée d’une opposition peut ainsi perdre son droit alors même que le prix payé pour le rachat de ce droit se sera fondé sur de bons résultats financiers. La détermination d’une juste valeur passe donc nécessairement par l’analyse juridique de la ou des marques.

 

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