A quoi ça sert la distinctivité déjà ?
La jurisprudence rappelle de manière constante que la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur l’identité d’origine du produit ou service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer -sans confusion possible- ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance.
Comme l’a énoncé de manière pratique le Tribunal de l’Union européenne dans un récent arrêt du 26 mars 2015 « Sont ainsi dépourvus de caractère distinctif, les signes qui ne permettent pas au public concerné de répéter une expérience d’achat, si elle s’avère positive, ou de l’éviter si elle s’avère négative, lors de l’acquisition ultérieure des produits ou services [visés par la marque en question] ».
L’exigence de distinctivité est donc cruciale car sans distinctivité, la marque n’existe pas juridiquement.
Les conséquences sont loin d’être négligeables puisque sans enregistrement, il est tout simplement impossible d’empêcher un concurrent d’utiliser la même marque ou une marque proche pour la même activité !
Le titulaire de la marque FAMILI (marque exploitée pour désigner un magazine dédié à l’enfance) s’est ainsi vu récemment annuler sa marque pour défaut de distinctivité concernant les produits de l’imprimerie et est donc obligé de tolérer la marque FAMILIB pour la même activité !
Comment savoir si ma marque remplit ce critère ?
Voici une sélection d’exemples de jurisprudence permettant de se faire une idée sur la question.
- La marque doit remplir sa fonction d’indicateur d’origine
La Cour de Cassation a ainsi souligné dans un arrêt du 6 janvier 2015 concernant la marque « I ♥ Paris » « qu’après avoir rappelé que, pour être distinctif, un signe, même s’il n’est ni nécessaire, ni générique, ni usuel, ni descriptif, doit conduire le public pertinent à penser que les produits ou services en cause proviennent d’une entreprise déterminée [… ], que le contenu sémantique des deux signes litigieux appréhendés dans leur ensemble, en ce qu’il véhicule un message d’attachement à une ville particulière, conduira le consommateur à les percevoir comme des signes décoratifs dont il comprendra le sens quelle que soit sa langue, et non pas comme des marques lui garantissant que les produits sur lesquels ils sont apposés sont fabriqués et commercialisé par la société X quand bien même seraient-ils apposés sur des étiquettes »
- La distinctivité s’apprécie au regard des produits et services déposés
Concernant l’appréciation de ce caractère distinctif, selon le Code de Propriété intellectuelle, « le caractère d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits et services désignés ».
La jurisprudence rappelle de manière constante ce principe.
En ce sens, un arrêt de la Cour de Cassation du 3 juin 2014 (BOCO / BOKO) est venu casser un arrêt rendu par la Cour d’appel de Nancy qui avait considéré que « les produits et services proposés sous la marque BOCO sont des préparations culinaires de qualité conditionnées dans des conserves en verre, que la particularité du restaurant qu’exploite la société BOCO est de présenter en self-service des plats servis dans des verrines et qu’il en résulte que le signe, qui se réfère aux caractéristiques des produits et services commercialisés, est de nature descriptive et non distinctive, tant pour la vente de préparations alimentaires que pour l’activité de restauration ».
La cour de Cassation a en effet considéré « qu’attendu qu’en se déterminant ainsi, au regard de l’activité du titulaire de la marque et des produits et services considérés, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si la marque était dépourvue de caractère distinctif au regard des seuls produits et services tels que visés au dépôt, n’a pas donné de base légale à sa décision ».
L’appréciation du caractère distinctif d’un signe ne s’effectue donc pas in abstracto mais par rapport aux produits et services visés par la marque.
- Une appréciation de la distinctivité d’autant plus stricte que la marque est signifiante
Un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 18 novembre 2013 est ainsi venu confirmer un refus d’enregistrement de l’INPI de la marque française CIRQUE AQUATIQUE pour des produits des classes 16 et 41 notamment, « produits de l’imprimerie, clichés, affiches, albums, cartes, livres, journaux, prospectus, brochures, calendriers, tableaux, dessins, publication de livre, productions de films sur bande vidéo» en considérant que le signe contesté peut servir à désigner une caractéristique des produits et services, tels l’objet du service de divertissement ou de loisir ou le thème des produits et productions visés[…] ».
Alors si vous lancez prochainement une nouvelle marque, voici quelques exemples, par domaine d’activité, qui peuvent vous aiguiller dans votre choix :
-Marques refusées pour défaut de distinctivité dans le domaine des cosmétiques :
- Marque française DERMO ESTHETIQUE
- Marque française SAVON DE MARSEILLE EXTRA PUR
- Marque communautaire THE CULTURE OF TOTAL BEAUTY
- Marque française MASQUE DIVIN
- Marque communautaire PRODIGIEUSE
- Marque communautaire OUT OF THE BOX
-Marques refusées pour défaut de distinctivité dans le domaine de l’alimentation :
- Marque communautaire LA PIZZERIA
- Marque communautaire LAS TAPAS
- Marque internationale GIANT
-Marques refusées pour défaut de distinctivité dans le domaine des vêtements et accessoires de mode:
- Marque française I ♥ Paris
- Marque internationale HOT PANTS
- Marque communautaire I LOVE MY T’S
- Marque communautaire FEEL BEAUTIFUL
- Marque internationale KOMBAT
- Marque française SHIATSU
-Marques refusées pour défaut de distinctivité dans le domaine des magazines et de la presse :
- Marque française FOOTBALL MAGAZINE
- Marque française REVUE SCIENCES DE GESTION
- Marque française CIRQUE AQUATIQUE
- Marque française FAMILI
Il n’y a pas une base de données consolidée aujourd’hui qui permette d’avoir une vision exhaustive des marques refusées. Par ailleurs, l’INPI et l’Office Européen ont assez souvent des positions divergentes et évolutives.
C’est pourquoi, au stade du choix d’une nouvelle marque, il est important de ne pas faire l’économie d’une expertise juridique sur le nom choisi pour pouvoir adapter ensuite votre stratégie d’exploitation et de protection.
Elodie ROCHOUX, Juriste PI et Diego LUQUE, juriste stagiaire
@INLEX_IP