Le dernier arrêt en date dans l’affaire qui oppose la Société des Produits Nestlé SA à Cadbury UK Ltd[1] a remis au premier plan la protection d’une marque tridimensionnelle. Dans cet arrêt, le juge anglais a considéré, à sa manière, que les preuves soumises par la société Nestlé dans le but de démontrer que le public pertinent s’appuie effectivement sur la forme de sa marque tridimensionnelle pour identifier l’origine des produits visés par ce dépôt ne sont, selon ce dernier, pas suffisantes pour lui attribuer une protection à titre de marque et notamment sur la base du caractère distinctif acquis par l’usage.
Bien que les différentes législations communautaires et nationales prévoient chacune des dispositions relatives à l’enregistrement de marques tridimensionnelles, il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, il n’existe pas de critères clairs et définis pour déterminer avec précision les signes qui pourraient ou non se voir attribuer une protection au titre du droit des marques tridimensionnelles.
Ce flou juridique pourrait-il être expliqué par le fait que la marque tridimensionnelle ne semble pas toujours indiquer l’origine du produit auprès du public pertinent ? Les consommateurs moyens n’ont en effet pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif s’agissant d’une telle marque tridimensionnelle que s’agissant d’une marque verbale ou semi-figurative.
Mise à part la marque tridimensionnelle, il existe bien entendu d’autres droits de propriété intellectuelle privatifs tels que le dessin & modèle, le droit d’auteur ainsi que le recours en concurrence déloyale. Nous étudierons ici la marque tridimensionnelle bien qu’il serait intéressant d’approfondir la protection d’un signe par d’autres droits de la propriété intellectuelle.
Nous nous sommes ainsi penchées sur la jurisprudence communautaire dans le but de trouver des critères, de dégager des tendances de jurisprudence nécessaires à tout juriste souhaitant conseiller au mieux ses clients dans leurs démarches de protection par le biais des marques tridimensionnelles.
De cette analyse, nous avons pu constater que la jurisprudence communautaire semblait adopter une application stricte des textes communautaires concernant l’enregistrement des marques tridimensionnelles et notamment envers celles qui tentent de protéger des formes de produits alimentaires et particulièrement de biscuits.
C’est ce que la Division d’Annulation de l’EUIPO[2] a récemment réaffirmé dans deux de ses décisions opposant la société allemande Griesson de Beukelaer Gmbh & Co à la société française Generale Biscuit-Glico France suite aux demandes d’annulation de la société allemande des marques figuratives représentant les célèbres biscuits Mikado enregistrés en classe 30, ci-après représentés :
Dans ces deux décisions, la Division d’Annulation précise que, pris dans leur ensemble ces marques consistent en « une combinaison d’éléments typiques des produits en question à savoir, des biscuits en forme de bâtonnets enrobées de garnitures en chocolat ». Elle ajoute que ces formes de bâtonnets « ne sont pas sensiblement différentes des diverses formes communément utilisées dans le commerce pour les produits en cause, mais sont simplement une variante de celles-ci » et ne peuvent ainsi être perçues comme une indication d’origine des produits en cause par un consommateur dont l’attention ne sera par ailleurs pas élevée compte tenu de la nature même de ces produits.
Les consommateurs ne considérant pas la forme tridimensionnelle d’un produit comme étant une indication d’origine dudit produit en l’absence d’autres éléments (notamment verbaux), les marques en cause ne revêtent par conséquent pas de caractère distinctif et sont dont annulées en partie pour les produits suivants : « Produits de boulangerie, de pâtisserie, de confiserie, à savoir, biscuits (sucrés ou salés), gaufrettes ; tous ces produits étant nature et/ou nappés et/ou fourrés et/ou aromatisés. ».
Par ailleurs, l’argument selon lequel, la forme ne serait pas reprise dans le secteur d’activité concerné, n’a en l’espèce pas été retenu par l’Office qui a estimé que cela ne signifiait pas pour autant que la forme des biscuits ainsi que les ornements en chocolat en question puissent constituer une indication d’origine desdits produits. Le critère de la nouveauté n’a en l’espèce pas eu d’incidence dans l’analyse du critère de distinctivité d’une marque tridimensionnelle. Cette décision a toutefois fait l’objet d’un appel des deux parties ne semblant pas se contenter d’une telle décision.
De la même manière, dans un arrêt opposant Mars Inc. Vs. Ludwig Schokolade GmbH & Co. KG[3], le Tribunal de l’Union Européenne a confirmé une décision de la Chambre des Recours de l’OHMI considérant que la marque tridimensionnelle de la barre chocolatée appartenant à la société MARS Inc., connue sous le nom de « Bounty », était dépourvue de caractère distinctif.
La forme de la marque tridimensionnelle contestée (telle que représentée ci-contre) est selon le TUE «une forme quasiment intrinsèque à une barre chocolatée qui ne dévie pas suffisamment de la norme du secteur […] et ne permet pas au public pertinent de reconnaitre immédiatement et avec certitude l’origine du produit ».
Cet argument a également été retenu dans un arrêt August Storck KG vs. OHMI[4] à l’encontre de l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle représentant une souris en chocolat (photo ci-contre).
Par ailleurs, la configuration du relief en forme d’animal réalisée sur la pièce moulée ne permettrait pas d’indiquer l’origine du produit mais ne constitue qu’une « configuration décorative de la face supérieure » du produit.
Enfin, dans un autre secteur d’activité, le Tribunal de l’Union Européenne dans une récente décision du 24 février 2016[5] a refusé d’enregistrer une nouvelle forme de bouteille déposée par la société The Coca-Cola Company aux motifs que « la marque demandée ne constitue qu’une variante de la forme et du conditionnement des produits concernés qui ne permettra pas au consommateur moyen de distinguer les produits en cause de ceux d’autres entreprises » et est ainsi est dépourvue de caractère distinctif par rapport à ces produits, contrairement à sa bouteille classique composée de cannelures.
The Coca-Cola Company n’a pas ailleurs pas réussi à démontrer que cette marque avait acquis une distinctivité par l’usage.
Bouteille sans cannelures (rejetée)
Bouteille avec cannelures (acceptée)
Ainsi, le titulaire d’un signe exclusivement constitué par la forme d’un produit peut voir sa demande d’enregistrement refusée si la forme protégée à titre de marque ne peut précisément remplir sa fonction première à savoir différencier les produits commercialisés sous cette marque des produits de tiers.
Or de nos jours, les entreprises qui investissent sur une forme particulière pour leurs produits ont un intérêt évident à avoir une protection juridique forte afin de pouvoir bénéficier d’un monopole sur leur segment d’activité leur permettant, entre autres, de rentabiliser leur investissement et de se différencier des produits de leurs concurrents.
Néanmoins, il n’existe aujourd’hui pas de processus établi, de solution identique applicable à tout type de projet pour bénéficier d’une protection via le droit des marques. Le cas par cas reste de mise. Toute la difficulté est ainsi de trouver la bonne combinaison entre les différents éléments permettant de se voir accorder l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle à savoir : la forme du produit, le nom associé et le code couleur.
Par ailleurs, dans son appréciation du caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle appliquée à des formes de produits, la jurisprudence européenne semble également retenir un autre élément déterminant : la forme protégée doit suffisamment se distinguer de la norme et/ou des coutumes existantes sur le marché concerné afin de permettre au public concerné d’identifier l’origine des produits en cause.
Il est ainsi déterminant d’arriver à faire un état des lieux très précis de ce qu’est l’état actuel du marché et de ce qui y constitue, ou non, la norme et ce, dans un territoire géographique déterminé en fonction de la cible commerciale. L’objectif étant de s’éloigner le plus possible de cette norme et/ou de ces coutumes qui appartiennent au domaine public et ne peuvent, par principe, pas être monopolisées par un seul acteur du marché.
Quelle est alors réellement votre distance de créativité ?
La finalité est ainsi d’arriver à définir la « distance de créativité » qui existe entre le niveau zéro de protection, comprenant toutes les formes standards que l’on retrouve sur le marché ainsi que celles de ses concurrents, du niveau minimum de protection. Car en effet, plus cette distance sera grande, plus la forme en sera particulière pour le public pertinent qui lui accordera alors plus aisément une origine unique et plus le niveau de protection accordée à la forme du produit sera élevé.
En d’autres termes, la jurisprudence européenne semble accorder une attention particulière à la créativité et à la nouveauté qu’apporte un produit sur un marché donné lui permettant ainsi de bénéficier d’un réel monopole par le biais du droit des marques tridimensionnelles, à la condition toutefois que cet élément novateur puisse constituer un indicateur précis de l’origine des produits en cause dans les yeux des consommateurs concernés.
Ainsi, face à une volonté de protection d’une forme tridimensionnelle il convient de constituer un véritable dossier préalable à dépôt de marque tridimensionnelle afin d’anticiper et de pouvoir éviter un refus d’enregistrement pour manque de distinctivité qui peut s’avérer très gênant pour tout développement de projets.
En parallèle, la protection par le droit d’auteur et/ou les dessins et modèles ainsi qu’un recours en concurrence déloyale peuvent constituer des moyens efficaces pour protéger et/ou défendre une forme tridimensionnelle.
Cette réflexion préalable sur un dépôt de marque tridimensionnelle est d’autant plus importante que les nouvelles dispositions de l’EUIPO prise dans le cadre de la réforme du droit communautaire des marques sur les représentations graphiques ne devraient pas impacter l’analyse de l’Office européen à ce sujet.
Caroline JOUVEN et Olivia VAN HARTESVELDT
[1] High Court of Justice, Chancery Division – Société des Produits Nestlé SA and Cadbudry Uk Ltd en date du 13 janvier 2016
[2] Division d’Annulation de l’EUIPO – Cancellation No 9944 C et No 9945 C des 17 décembre 2015 et 28 janvier 2016.
[3] Tribunal de l’Union Européenne, 8 juillet 2009, Mars Incorporated vs. Ludwing Schokolade Gmbh & Co. KG, T-28/08
[4] Cour de justice de l’Union Européenne, 6 septembre 2012, August Storck KG vs. OHMI, C-96-11 P
[5] Tribunal UE, 24 février 2016, T-411/14, The Coca-Cola Company / OHMI