Mentions traditionnelles : le dépôt et l’utilisation d’une marque contenant le terme « Château » sont-ils dangereux ?
Le droit viticole est en constante évolution et l’utilisation des mentions traditionnelles telles que les termes « Château », « Clos », « Domaine etc. est loin d’être anodine.
Au contraire, la pratique récente est venue prouver que ces termes doivent être utilisés stratégiquement et avec parcimonie : leur utilisation emporte des conséquences juridiques et commerciales qui peuvent s’avérer extrêmement rentables ou alors désastreuses.
Ainsi le temps où l’on pouvait se contenter de déposer sa marque sous la forme « CHATEAU XXXX » semble aujourd’hui révolu.
La très récente jurisprudence CHATEAU FIGEAC / CHATEAU CORMEIL FIGEAC – CHATEAU MAGNAN FIGEAC doit à ce titre sonner comme un avertissement.
1 – Faits et le jugement :
Le « Château Figeac » a attaqué en justice ses voisins historiques, les domaines « Château Cormeil-Figeac » et « Château Magnan-Figeac » en arguant notamment du fait que ces marques devaient être considérées comme déceptives pour les consommateurs.
Le TGI de Bordeaux, dans une décision du 29 novembre 2016 donne raison au « Château Figeac » en constatant qu’aucun des deux châteaux attaqués ne repose sur des parcelles cadastrées « Figeac » et qu’à ce titre, ceux-ci donnent faussement à croire que les vins commercialisés sous ces marques proviennent de l’ancien domaine du Château de Figeac, « lequel produit un vin particulièrement illustre, premier grand cru classé B dans l’appellation d’origine contrôlée Saint-Emilion, et entretient la confusion dans l’esprit du public sur la nature, la qualité et/ou la provenance des vins qu’elles désignent ».
Le TGI annule donc les deux marques « Château Cormeil Figeac » et Château Magnan-Figeac » alors même que celles-ci avaient été déposées en 1986, soit plus de 10 ans avant les marques « Château Figeac » et « Château de Figeac » du demandeur.
Cependant dans cette même procédure, les domaines « Château Cormeil-Figeac » et « Château Magnan-Figeac » ont effectué une demande reconventionnelle visant à obtenir la déchéance des marques « Château Figeac » et « Château de Figeac » du demandeur car celles-ci seraient devenues trompeuses pour les consommateurs.
En effet, les marques “Château-Figeac” et “Château de Figeac” contiennent toutes deux le terme « Château » et doivent donc être en mesure de prouver par une traçabilité logistique que ces vins sont vinifiés séparément des autres vins du domaine.
Or le Château Figeac n’ayant pas été en mesure d’apporter ces preuves de traçabilité, le TGI n’a pas été en mesure « de vérifier le respect de l’exigence d’une vinification séparée et ne peut dès lors que dire que lesdites marques sont devenues déceptives ».
La déchéance des droits du GFA CHÂTEAU DE FIGEAC sur les marques “Château-Figeac” et “Château de Figeac” a donc été prononcée.
2 – Les leçons à en tirer :
- Les marques qui intègrent un terme réglementé (château, domaine, Clos etc) sont beaucoup plus fragiles que des marques qui ne les contiennent pas.
- Cela se traduit en termes d’usage également puisqu’il ne suffit pas d’exploiter sa marque (comme toute marque commerciale) mais que l’on doit être en mesure de justifier que l’on satisfait au cahier des charges du terme réglementé.
- Commercialement, cela se traduit également en termes de chiffres de vente puisqu’on ne peut vendre que des vins provenant de la propriété délimitée et vinifiés sur place.
- En conséquence, la valeur de la marque se trouve mécaniquement contenue de manière intrinsèque puisque celle-ci ne peut être utilisée que dans la limite des volumes issus de la propriété délimitée et de l’AOC concernée.
- Il existe donc un risque en cas d’extension de la taille de la propriété : en effet, si un château acquiert par exemple 10 ha non cadastrés avec le nom du château, il est possible que le % global de nom cadastré devienne insuffisant par rapport à l’assiette globale pour échapper à la déceptivité telle que prononcée à l’encontre des Châteaux Cormeil et Magnan Figeac.
3 – Cela doit se rajouter au contexte délicat auquel sont soumises les mentions traditionnelles aujourd’hui :
On constate depuis quelques années un risque grandissant pour les propriétés de ne pas répondre à l’exigence subjective du respect de la « typicité » de l’AOC et donc de perdre le droit à son utilisation. Dans cette hypothèse, toutes les marques déposées contenant le terme château deviennent alors inopérantes.
Dans cette hypothèse, la protection, la valeur et la capacité commerciale de la propriété seraient gravement menacées.
Aujourd’hui, la réglementation de certains termes comme « Château » est profondément remise en question : par exemple ce terme est au milieu de grandes discussions avec les USA).
Ainsi, il n’est pas exclu que l’Union Européenne fasse évoluer la réglementation existante des mentions traditionnelles et que des termes comme « Château », « Domaine », « Clos » etc… voient leur cahiers des charges évoluer, voire soient déréglementés.
Conclusion :
Le terme « Château » reste un vecteur important de plus-value pour les propriétés viticoles. En effet il est souvent réclamé par les clients et les importateurs car il est synonyme de qualité et de traçabilité du vin.
Les études montrent d’ailleurs que sa présence sur l’étiquette est un facteur d’achat déterminant pour le consommateur.
En revanche se contenter de déposer des marques contenant le terme « Château » ou un terme équivalent selon la réglementation (« Clos », « Domaine », « Mas » etc) apparaît très risqué juridiquement et limité commercialement pour les raisons exposées plus haut.
Il apparaît donc aujourd’hui prudent de compléter sans tarder la protection existante « CHATEAU XXXXX » par un dépôt de « XXXXX » seul en classe 33 pour des « Vins », affranchi de toute contrainte réglementaire.
Cette dernière marque permettra à la fois de « tuiler » la protection avec la marque de Château et d’anticiper tout développement commercial autour de la marque pour des produits qui ne seraient pas issus de la propriété ou qui ne seraient pas éligibles à l’utilisation de l’AOC.