Usage aux fins d’exportation : la fin de la valse-hésitation !

La question de savoir si un usage destiné uniquement à l’exportation peut ou non constituer une atteinte à marque antérieure a, depuis longtemps, posé questionnement chez bons nombres d’opérateurs économiques car les choses n’étaient pas si claires tout comme souvent les problématiques liées à l’usage des marques!

En effet, et pour mémoire il est admis que lorsqu’une marque est enregistrée mais non exploitée en France, un usage uniquement destiné à l’exportation valide cette marque qui, de ce fait et, sous certaines conditions n’est donc pas « déchéable ».

Cette position n’était pas si évidente puisque pour qu’une marque ne soit pas vulnérable à une action en déchéance pour non usage, il est nécessaire qu’elle fasse en principe l’objet d’un sérieux sur le territoire national de la protection pour les marques nationales et dans l’Union Européenne pour les marques communautaires. Autrement dit, la marque nationale/communautaire doit remplir sa fonction essentielle (garantir au public pertinent l’identité d’origine de produit ou service) sur le marché national/communautaire.

En application de ce « principe de territorialité », tout usage de la marque à l’étranger ne devrait donc pas, en toute logique, être pris en compte.

Or L’article L. 714-5 al. 2 point c) du Code de la Propriété Intellectuelle (article 10 § 1 point b) de la Directive) dispose cependant qu’est assimilée à un usage sérieux sur le territoire français « l’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation. »

Cette disposition permet donc aux entreprises exportatrices de maintenir leurs droits sans jamais effectivement commercialiser leurs produits en France/Union Européenne. Il leur appartiendra simplement de démontrer que l’apposition de la marque a été effectuée sur le territoire français et en vue de l’export à l’étranger (Cass. com., 12/11/1992 ; TGI Paris du 21/10/1993 ; TGI Paris du 10/04/2009  n° 06/08216). A contrario, la simple fabrication d’étiquettes en France ne suffit pas à elle seule à démontrer que l’apposition de la marque a eu lieu en France  (CA Paris 20/09/2002).

En revanche, il existait toujours un doute sur le point de savoir si l’usage d’une marque uniquement destiné à l’exportation pouvait constituer ou pas une contrefaçon d’une marque antérieure dans le pays d’origine sur lequel elle n’était par définition pas exploitée.

En effet, selon la jurisprudence bien établie, l’acte de contrefaçon suppose qu’il soit porté atteinte aux fonctions de la marque (notamment à celle de garantie de provenance de produit ou de service) sur le territoire du pays concerné.

Il convient de tenir compte de cette règle générale quand on interprète les dispositions légales relatives à la contrefaçon (articles L. 713-2, L. 713-3, L. 716-9 et L. 716-10 du Code de la Propriété Intellectuelle). Par ailleurs, les dispositions nationales relatives à la contrefaçon doivent être interprétées conformément à la Directive UE et à la jurisprudence communautaire.

  • Si l’article L. 713-2 sous a) du Code de la Propriété Intellectuelle interdit quant à lui les actes de reproduction, d’usage ou d’apposition d’une marque,
  • L’article L. 716-9 sous a) et b) du Code de la Propriété Intellectuelle quant à lui interdit l’importation, l’exportation, le transbordement ainsi que la production industrielle des marchandises présentées sous une marque contrefaite.
  • L’article L. 716-10 sous a) et b) du Code de la Propriété Intellectuelle interdit la détention sans motif légitime, l’importation, l’exportation, l’offre à la vente ou la vente des marchandises présentées sous une marque contrefaite.
  • la Directive n° 95/2008 interdisait tout acte d’usage dans la vie des affaires, et notamment :

 

  1. L’apposition de la marque contrefaite sur les produits ou sur leur conditionnement ;
  2. L’offre des produits contrefaisants, la mise dans le commerce ou la détention à ces fins, l’offre ou la fourniture des services sous une marque contrefaite ;
  3. L’importation ou l’exportation des produits sous une marque contrefaite ;
  4. L’utilisation de la marque contrefaite dans les papiers d’affaires et dans la publicité.

 

Dès lors mêmes si les magistrats avaient coutume de rejeter la contrefaçon de marque destinée uniquement à l’export dès lors que leur titulaire pouvait justifier d’un droit dans le pays d’export, les textes ne prévoyaient pas cette exception…un doute planait eu égard aux textes qui prévoyaient le contraire !

Or ce doute vient d’être levé par un arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 17 janvier 2018, pourvoi n° H 15-29.276, Li Yu / Chen et Castel Frères laquelle opère un revirement de jurisprudence sur ce point.

Pour mémoire et, dans son arrêt du 10 juillet 2007 (n° 05-18571), la Cour de cassation avait retenu cette circonstance comme « ménageant une exception de motif légitime de détention de tels produits revêtus du signe litigieux sur le territoire français ». En effet, même si elle admettait que ces actes constituent un usage dans la vie des affaires, la Cour de cassation retenait que le fait que les actes concernés avaient tous été accomplis en vue d’une commercialisation licite à l’étranger et en l’absence de mise sur le marché ou même de risque de mise sur le marché en France constituait une circonstance « ménageant une exception de motif légitime de détention de tels produits revêtus du signe litigieux sur le territoire français ».

Citant ce précédent arrêt, la Cour revient expressément sur cette solution dans l’arrêt commenté.

La société Castel Frères, bien connue dans le domaine de la production et de la commercialisation de vins et spiritueux dans le monde entier, était titulaire de marques françaises et européenne constituées de caractères chinois dont la translittération en français se lit « Ka Si Té », correspondant à la forme chinoise la plus proche de la marque CASTEL.

Deux particuliers, Monsieur Li Yu et Madame Chen, déposent le 25 février 2009 une marque française constituée d’un signe identique pour désigner des produits identiques, puis utilisent cette marque.

La société Castel les assigne en contrefaçon et obtient gain de cause devant les juges du fond.

Sur le principal point de la décision, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en faisant d’abord allusion à son arrêt du 10 juillet 2007, pour retenir que « toutefois, les directives de l’Union européenne instituent […] une harmonisation complète, en définissant le droit exclusif dont jouissent les titulaires de marques dans l’Union ».

Elle considère que « la solution retenue par l’arrêt précité ne fait donc pas une application correcte de ce principe d’harmonisation, puisque ni [la première directive 89/104/CEE sur les marques], ni celles adoptées par la suite, ne prévoient une telle exception, de sorte que le refus de constater la contrefaçon en pareil cas ne peut être maintenu ».

Et la Cour de retenir « qu’ayant constaté que la marque avait été apposée en France, territoire sur lequel elle était protégée, la cour d’appel en a exactement déduit, alors même que les produits ainsi marqués étaient destinés à l’exportation vers la Chine, que la contrefaçon était constituée ».

Que l’on partage ou pas cette décision, il est à noter qu’elle a le mérite d’être enfin en adéquation avec les textes, ce que l’on peut saluer car cela va sans conteste dans le sens de la sécurité juridique !

Céline BAILLET-Conseil en Propriété IndustrielleINLEX IP EXPERTISE