Lors de l’adoption de la marque communautaire, en 1996, les choses étaient simples !
En effet, cette marque permettait d’obtenir un monopole d’exploitation via une procédure unique sur l’intégralité des territoires composant l’union européenne et, ce, pour une somme modique. La procédure était fluide et les refus de protection n’étaient pas légion
L’usage, quant à lui, n’était requis, grosso modo, que dans une partie de l’Union, voire parfois dans un seul pays, pour valider la marque UE et échapper à la déchéance pour non usage.
Dès lors, de nombreux opérateurs ont eu recours à cette formalité de façon « mécanique » pour protéger leur marque au sein de l’UE et, ont souvent, dans le même temps, abandonné leurs marques nationales lors des renouvellements avec des conséquences parfois graves (https://www.ip-talk.com/2018/12/13/qui-part-au-gallo-doit-menager-sa-monture/)
Mais cette situation c’était avant ! En effet, au cours des dernières années, nous avons pu constater que la situation était beaucoup moins tranchée et que la marque de l’UE n’était pas nécessairement la solution à privilégier en priorité afin d’obtenir une protection optimale sur cette zone.
Cependant, nombreux sont les déposants qui restent dans cette mouvance antérieure et déposent leur marque communautaire alors qu’ils n’ont d’intérêt que pour certains pays de cette zone, essentiellement au motif que cette marque est peu onéreuse….
Cet automatisme nous semble devoir être remis en cause et le choix d’adopter et/ou de conserver une marque de l’Union Européenne doit dorénavant s’accompagner d’une véritable analyse en amont et en aval.
Nous passerons en revue les différents aspects méritant, à date, d’être analysés afin de gérer au mieux ce droit et d’éviter certains écueils et conséquences fort désagréables…
La marque de l’UE est-elle le meilleur rapport coût/ protection ?
Oui et non….effectivement en terme de coûts et, pour viser les 27 pays de l’ UE, il s’agit de prime abord de la solution la plus économique lors du dépôt à condition d’avoir pris en amont un certain nombre de précautions:
- S’être assuré que le signe déposé est suffisamment distinctif pour passer le cut de l’examen par l’EUIPO…en effet l’office est de plus en plus strict dans le cadre de l’adoption de marques de l’UE et rejette de nombreuses marques…en cas de rejet, des voies de recours existent mais génèrent des frais et retardent la décision d’obtention ou de rejet du titre…par ailleurs, et en cas de rejet confirmé, les taxes de dépôt ne sont pas remboursées.
- Pour les marques revendiquant une distinctivité acquise par l’usage, il est indispensable d’en rapporter la preuve dans chacun des pays de l’UE…un véritable parcours du combattant !
- Avoir sécurisé son projet en ayant conduit une recherche d antériorité sur l’ensemble des pays de l’ UE…il faut savoir en effet que tout titulaire d’ un droit antérieur (marque, nom de domaine, signe utilisé dans la vie des affaires…) peut s’ opposer par la voie administrative au dépôt et, en l’ absence de négociation, obtenir le rejet de l’ ensemble de la marque…la seule option afin de conserver le droit sera alors de transformer la marque UE en marques nationales dans les pays dans lesquels aucun obstacle n’aura été rencontré…mais moyennant le versement d’une taxe de conversion dans chacun des pays, pays qui vont à leur tour examiner le caractère distinctif de la marque, la publier et donc rallonger considérablement la procédure et, donc, à la fois les coûts dans chacun des territoires visés mais aussi la capacité d’obtenir en justice des interdictions de vendre des produits ou services confusants.
Il est, enfin, utile de noter que tout tiers intéressé peut déposer des observations auprès de l’UE pour contester le caractère distinctif de la marque, l’office devant alors ré -rouvrir la procédure d’enregistrement quand bien même il n’aurait, lors de son examen, émis aucune objection ! Ici encore, en cas de rejet, les taxes sont perdues.
La marque communautaire peut-elle servir de base à un dépôt international ?
D’après les textes, une marque UE peut servir de base à une marque internationale…en revanche et, en application du principe de dépendance, ces marques sont liées pendant 5 ans…de ce fait, si, pendant cette période, la marque de l’UE est rejetée ou fait l’objet d’une réaction d’un tiers, elle fera, de facto, tomber la marque internationale…ici encore les coûts générés seront perdus.
En d’autres termes, la marque UE permet certes de limiter les coûts lors du dépôt mais multiplie les risques de réaction par 27 (à savoir le nombre de pays membres).
L’usage dans un pays permet-il toujours de faire échec à une action en déchéance ?
L’usage est aujourd’hui le nerf de la guerre…en effet, et depuis la Directive européenne Paquet Marques et récemment la Loi Pacte, les règles en matière d’usage se sont considérablement durcies, la tendance étant de pouvoir sanctionner les titulaires de marques notamment en UE qui n’exploitent pas leur signe dans les conditions fixées par les textes et la jurisprudence…il faut libérer, en effet, les registres encombrés par des marques non exploitées.
Des actions administratives sont ouvertes à tout tiers intéressé (l’intérêt à agir n’est plus requis), elles sont plus rapides et moins onéreuses que des actions judiciaires et l’on constate de facto une inflation considérable de ces actions.
Or, il s’avère que cette tendance a pour effet de prononcer la déchéance également de marques exploitées…il s’avère, en effet, que pas moins de 50% des marques UE faisant l’objet d’une action en déchéance pour non usage et qui sont annulées, sont en réalité exploitées !
L’EUIPO a effectivement fixé un certain nombre de règles en matière de preuves d’usage et, il est aujourd’hui relativement complexe d’être à même de prouver un usage qui sera considéré comme valable pour permettre à la marque UE de ne pas être déchue. En d’autres termes, exploiter sa marque est une chose, en rapporter la preuve en est une autre !
En effet, il est d’abord nécessaire de prouver un usage au cours des cinq dernières années précédant la demande en déchéance, et ce au sein d’une partie substantielle de l’UE (cette notion étant variable en fonction des produits et services couverts par la marque…un volume d’affaires X sera considéré comme suffisant pour un domaine d’activité donné et insuffisant pour un autre), du signe tel que déposé (attention aux variantes au fil du temps !) et pour les activités strictes visées au dépôt (exit les preuves pour des activités similaires !)…les preuves devant être fournies dans un délai relativement court.
Par voie de conséquence plusieurs questions se posent avant d’adopter une marque de l’UE :
- Quels sont mes pays d’intérêt majeurs, ceux que je dois sécuriser ?
- Le signe que je souhaite protéger est-il suffisamment distinctif pour être enregistré ?
- Le signe est-il libéré de tout risque de réaction au sein des 27 pays de l’UE ?
- Suis-je véritablement intéressé par un monopole dans les 27 pays de l’UE et, dans ce cas quelle va être la nature de mon exploitation et dans quel timing ?
- Est-ce que je dispose d’un plan B pour protéger plus efficacement ma marque ?
Plusieurs questions se posent également dans le cadre de la détention d’une telle marque :
- Le signe déposé est-il exploité dans la droite ligne des impératifs édictés par l’EUIPO (forme d’usage, volume, activité, territoire)?
- Mon usage est-il suffisant en cas de réaction d’un tiers pour me permettre de valider ma marque ?
- Si la réponse à ces questions est négative, je suis donc en risque sur ma marque qui est donc vulnérable, dès lors de quelle option de contournement puis-je disposer ?
Autant de questions auxquelles il convient d’apporter des réponses aujourd’hui afin de sécuriser un portefeuille de marques au sein de l’UE …être déchu de ses droits exposants de facto les titulaires à des risques de contrefaçon et, donc, à des conséquences pécuniaires.Par ailleurs, détenir une marque « vulnérable » sans prendre les mesures nécessaires pour la sécuriser aura nécessairement des impacts sur sa valeur financière.
En conclusion, détenir ou projeter de déposer une marque UE ne doit plus être une décision « réflexe »mais doit s’accompagner d’une réflexion permettant par la prise de décisions adaptées, de sécuriser ses droits au sein de la zone UE.
Céline BAILLET – Conseil en Propriété Industrielle – INLEX IP EXPERTISE