S’il est un point qui est régulièrement discuté lorsque se pose la question d’une action contre une marque enregistrée, c’est celui de la forclusion par tolérance.
Dans une décision récente, la Cour d’Appel de Paris a rappelé les contours de ce mécanisme et ses conditions d’application.
CONTEXTE
La société GOURMIBOX, active dans le domaine de la vente de produits culinaires et accessoires de cuisine en ligne, détient la marque GOURMIBOX depuis le 25 juillet 2012. Elle apprend l’existence de la marque LA GOURMET BOX TERROIR, VOYAGE & GASTRONOMIE déposée le 10 juin 2014 et détenue par la société GASTRON’HOME qui exerce une activité similaire, à savoir la vente à distance de produits alimentaires sous forme de box.
Après avoir adressé une lettre de mise en demeure à cette dernière le 27 mars 2015, elle l’assigne, le 10 aout 2020, pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale et parasitaire.
La société GASTRON’HOME soulève l’irrecevabilité de cette action pour cause de forclusion par tolérance, motif retenu par le juge de la mise en état. La société GOURMIBOX forme alors appel de cette décision.
DECISION
Selon l’article L 716-4-6 du code de la propriété intellectuelle : « Est irrecevable toute action en contrefaçon introduite par le titulaire d’une marque antérieure à l’encontre d’une marque postérieure : 1° Lorsque le titulaire de la marque antérieure a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage de la marque postérieure en connaissance de cet usage et pour les produits ou les services pour lesquels l’usage a été toléré, à moins que son dépôt n’ait été effectué de mauvaise foi ».
Dans le cas d’espèce, la date d’envoi de la lettre de mise en demeure ne pouvait pas être suffisant pour reconnaître la forclusion par tolérance en raison, notamment, de la prorogation des délais dus à la période de confinement.
Ainsi, il a été nécessaire de déterminer la connaissance de la marque contestée par le demandeur antérieurement à toute action afin de caractériser cette tolérance.
Or, la Cour retient que dans le cas présent, les parties évoluent dans un secteur de niche, que celles-ci présentent un rapport de concurrence directe, qu’elle utilisent une même technique de vente par internet et les mêmes réseaux de publicité, et, qu’enfin, la société GASTRON’HOME démontre des efforts conséquents de communication pour le lancement de sa marque. Si bien, que la société GOURMIBOX a nécessairement eu connaissance de l’existence de cette marque au moment de son lancement, soit en 2014, et non pas au jour de l’envoi de la lettre de mise en demeure.
En outre, la Cour rappel, que la reconnaissance de la forclusion par tolérance n’impose pas l’existence de la preuve d’un usage sérieux, de sorte qu’il n’est pas nécessaire que l’usage de la marque en cause ait été quantitativement important, contrairement à ce que pouvait avancer la société GOURMIBOX.
Dès lors, l’ensemble des arguments de la société GOURMIBOX tentant de démontrer qu’elle n’avait légitimement pas eu la possibilité d’avoir connaissance de cette marque postérieure a été rejeté par la Cour, et la décision d’irrecevabilité confirmée.
CONCLUSION
Par cette décision il est rappelé qu’il n’est pas anodin d’adresser une lettre de mise en demeure dans le contexte d’une contrefaçon de marque. Mais aussi que cette seule action n’est pas suffisante à enclencher le délai de forclusion. Un faisceau d’indice permet de déterminer la connaissance ou non de la marque contestée sur le marché. Ces différents éléments doivent impérativement être analysés antérieurement à toute action afin d’écarter le risque que soit soulevée son irrecevabilité.
Enfin, cette décision peut être rapprochée d’une décision récente de la Cour de justice de l’Union européenne (19 mai 2022, C-466/20), dans laquelle il a été rappelé que le délai de forclusion, à savoir cinq années consécutives suivant la connaissance de l’usage d’une marque postérieure, peut être interrompu par l’envoi d’une lettre de mise en demeure à la condition que le titulaire de la marque antérieure introduise un recours juridiquement contraignant « dans un délai raisonnable » démontrant la poursuite de ses efforts pour obtenir la cessation de l’exploitation de la marque contestée.
Ces deux décisions mettent alors en lumière l’importance de maintenir un suivi serré lors de l’envoi d’une lettre de mise en demeure et la nécessité d’appréhender les dossiers de façon globale afin d’anticiper, au mieux, tout risque de contre action.
Aussi, il sera rappelé la valeur inestimable de la mise en place d’une surveillance des marques qui aurait permis, dans le cas d’espèce, d’intervenir préalablement à tout enregistrement ou, a minima, de conduire à une meilleure anticipation en amont de la situation juridique au-delà du seul fait de la connaissance ou non d’un usage de la marque seconde.
Mélanie VILLANOVA – Conseil en propriété industrielle