Pour être enregistrée en Union européenne, une marque doit être suffisamment distinctive au regard des produits et services qu’elle désigne. Cette distinctivité peut être intrinsèque, ou bien acquise par l’usage, cette dernière option pouvant être parfois difficile à démontrer comme l’illustre ce récent arrêt du 19 octobre 2022 du Tribunal de l’Union européenne.
Les Faits :
Revenons-en aux faits dans un premier temps : la société Louis Vuitton a déposé en 2008 la marque damier pour des produits en classe 18. Celle-ci a été enregistrée par l’EUIPO le 31 décembre 2009, l’office la considérant donc comme intrinsèquement suffisamment distinctive.
Le 25 juin 2015, un citoyen polonais initie une action en nullité devant l’office européen, basée sur plusieurs motifs de nullité absolue, et celle-ci est accueillie favorablement par l’office considérant que la marque ne présente pas de distinctivité intrinsèque ni de caractère distinctif acquis par l’usage.
En effet, l’office a considéré que le signe sera uniquement perçu par les consommateurs comme un dessin esthétique appliqué aux produits en cause, et qu’ils seraient habitués à voir ce dessin sur les produits. Les preuves soumises par Louis Vuitton pour démontrer la distinctivité acquise par l’usage ont paradoxalement renforcé le grief d’absence de caractère distinctif et citées par l’office, telles que par exemple des photographies de sacs avec des motifs en damier.
Se pose ainsi la question de savoir pour quelle raison l’office européen est revenu sur sa position de 2008 lorsqu’il avait accepté la marque à l’enregistrement, la considérant comme suffisamment distinctive.
Saisie d’un recours de Louis Vuitton, la Chambre des recours confirme cette décision de rejet.
Louis Vuitton saisit le Tribunal de l’Union européenne et celui-ci, dans un arrêt du 10 juin 2020, annule la décision de l’office, aux motifs que l’ensemble des preuves déposées par Louis Vuitton n’a pas été examiné.
L’affaire est donc renvoyée devant la Chambre des recours, qui, après un réexamen de l’ensemble des éléments, considère que n’a pas été démontrée l’acquisition du caractère distinctif par l’usage et prononce la nullité de la marque.
Saisi d’un nouveau recours de Louis Vuitton, le Tribunal de l’Union européenne statue dans un arrêt du 19 octobre 2022, rejette le recours et confirme l’annulation de la marque.
Notre appréciation :
Pour mémoire, il est de jurisprudence constante que l’acquisition du caractère distinctif d’une marque européenne doit être rapportée dans tout et chacun des pays de l’UE.
Ainsi, le Tribunal a examiné, dans un premier temps, les preuves soumises au regard des territoires dans lesquels le titulaire n’avait pas de boutique (à savoir : Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Slovénie) et indiqué que, si l’usage était démontré dans ces territoires, alors un second examen aurait eu lieu pour le reste des pays. Or, les éléments de preuve ne démontrent pas pour les juges l’acquisition du caractère distinctif par l’usage dans cette première série de territoires excepté en Estonie.
Cet arrêt n’est pas surprenant et vient confirmer la difficile preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage en Union européenne puisque celle-ci doit porter sur l’ensemble des territoires composant l’Union européenne. Il montre aussi la faiblesse d’une marque de l’Union européenne même enregistrée.
Par ailleurs, il nous semble possible de déduire de cet arrêt que, finalement, les juges ont analysé les preuves d’exploitation non comme un usage de marque mais plutôt comme un usage d’ornement / de dessin esthétique. En effet, considérer que l’usage est celui d’un décor disqualifie les preuves pour établir cette distinctivité du signe en tant que marque. Il faut donc avoir un usage qui peut être clairement identifié comme étant un usage de marque et s’abstenir de déposer des preuves à tendance ornementales sauf à pouvoir présenter des sondages montrant que le public n’y voit pas un usage ornemental mais bien un signe permettant d’indiquer l’origine des produits.
Il est donc essentiel de s’interroger sur le dépôt et la forme qu’il doit prendre en fonction de l’usage que l’on voudra revendiquer, et de la constitution d’un solide dossier de preuves d’usage choisies soigneusement.
Emma Brossard – Juriste en Propriété Industrielle & Eric SCHAHL – Conseil en Propriété Industrielle associé fondateur INLEX IP EXPERTISE