Champomy va-t-il sabrer le Champagne ?

CA Paris du 7/11/2007, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) et INAO c/ Sté CSR.

En 1988 et 1989, la société Pernod Ricard (PR) a déposé plusieurs marques « Champomy » en classe 32, et a commercialisé ce jus de pomme pétillant via sa filiale CSR SA. L’usage de cette marque a été contesté par le CIVC et l’INAO, et un accord informel a été conclu en 1991 : les sociétés du groupe PR s’engageaient à ne plus faire de référence au Champagne dans aucune publicité ni conditionnement du produit, et le CIVC et l’INAO renonçaient en contrepartie, à contester l’utilisation de la dénomination « Champomy ».

 

Estimant que leurs cocontractants ne respectaient pas cet accord, le CIVC et l’INAO ont assigné les sociétés en question afin de demander l’annulation des marques litigieuses.

Déboutés par le TGI de Paris en première instance, le CIVC et l’INAO ont interjeté appel de la décision.

Par un arrêt du 7 novembre 2007, la Cour d’appel de Paris les a déboutés de leur demande en nullité des marques « Champomy », et a prononcé la résiliation de l’accord de 1991 aux torts exclusifs des sociétés intimées…

En ce qui concerne la résiliation de l’accord, la Cour relève plusieurs articles de journaux parus entre 1996 et 2001 qui prouvent que les sociétés PR n’ont pas cessé toute référence au Champagne, bien au contraire… Ainsi, le titre d’un article paru dans Avantages de décembre 2001 laisse peu de place au doute : « Les faux champagnes pour enfants étaient blancs et à la pomme, FUNNY ROSY (déposé par PR en 2001) est rosé, à base de jus de raisin et de framboise » …

En ce qui concerne la demande en nullité des marques « Champomy », la Cour fonde son analyse sur l’article 643-1 du Code rural et conclut que la société PR, par l’utilisation de ce signe et son conditionnement a eu « une approche marketing manifestement fondée non pas comme elle le soutient en des termes provocants, sur l’univers des champs de pomme mais bien sur l’évocation de ce produit de luxe ». Cependant, la Cour refuse de tirer les conséquences de son analyse, estimant que par une « exploitation ininterrompue de près de 20 ans ayant rencontré un réel succès commercial, (PR) a fait émerger un univers propre autour de son produit … » La Cour évoque d’ailleurs le « caractère initiatique » du « Champomy » à l’égard des vins de Champagne ! Alors… « Univers propre » ou « produit initiatique au Champagne » ?

(Rappelons que la Loi Evin étant d’Ordre Publique, les juges auraient pu facilement, devant ce constat, s’autosaisir de ce problème… L’Assemblée étudie d’ailleurs actuellement un amendement interdisant la vente de cigarettes en chocolat, qui sont de nature à inciter les enfants au tabagisme).

La Cour ayant caractérisé le détournement de notoriété de l’Appellation prévu à l’article L.643-1 du Code rural, le motif de l’émergence d’un « Univers propre » devrait être inopérant. « Le nom qui constitue une appellation d’origine… ne peut être employé… lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d’affaiblir la notoriété de l’appellation d’origine ». Il n’y aurait pas de raison en l’espèce pour que la qualification du comportement parasitaire visé dans cet article échappe à un contrôle de la Cour de Cassation, au moins léger, si l’affaire devait en arriver à ce stade.

De plus, la Cour semble justifier sa décision par une sorte de forclusion par tolérance. Rappelons que celle-ci est conditionnée à la bonne foi, ce qui en l’espèce n’est manifestement pas le cas (cf. les termes « provocants »sur l’univers des champs de pommes), et que la mission de défense de l’Appellation Champagne par l’INAO et le CIVC est d’ordre publique !

Enfin, la durée de 20 ans à laquelle la Cour se réfère est inappropriée. En effet, les dates des faits motivant la rupture de l’accord de 1991 remontent pour la plupart à l’année 2001, date à laquelle le CIVC et l’INAO ont introduit l’action… La Cour se serait-elle placée à la date de son jugement pour apprécier le risque de détournement au lieu de celle de l’introduction de l’instance ?

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