En matière de protection de marque, une veille efficace et régulière est indispensable !
C’est l’une des leçons qui ressort de l’arrêt de la Cour de Cassation du 8 juin 2017 relatif à l’affaire Cheval Blanc.
En l’espèce, depuis plusieurs années, le célèbre Château Cheval Blanc, Premier Grand Cru classé A, a initié de nombreuses actions à l’encontre des marques qu’il estimait trop proches de la sienne. Avec succès, il a ainsi obtenu le rejet et l’annulation de plusieurs marques (Chevall bianco, Cheval Royal, Cheval Rose, Cheval d’or, Le cheval du roi, etc.), délimitant un périmètre de protection autour de sa marque et obtenant par ailleurs la reconnaissance par les tribunaux du prestige international de la dénomination Cheval Blanc.
Cependant, même les châteaux les plus prestigieux n’échappent pas aux règles. Dans cette affaire, en avril 2008, le Château Cheval Blanc a assigné l’EARL Chaussié de Cheval Blanc en annulation, notamment, de la marque Domaine du Cheval Blanc déposée le 18 juillet 1973, ainsi que de la dénomination sociale de la société Chaussié de Cheval blanc, pour déceptivité et, à titre subsidiaire, pour contrefaçon par imitation de sa marque.
Après des examens successifs en première instance, en appel puis en cassation, l’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Bordeaux le 5 mai 2015, qui a considéré que l’action fondée sur le caractère trompeur de la marque “Domaine du Cheval Blanc” était prescrite.
En effet, la Cour d’appel rappelle que l’action en nullité d’une marque fondée sur son caractère déceptif, qui n’est ni une action en contrefaçon, ni une action en revendication, n’est pas soumise aux règles de la forclusion par tolérance instituée par l’article L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle, mais au délai de prescription de droit commun, qui était de trente ans au moment de l’assignation (depuis 2008, ce délai a été ramené à cinq ans).
Par conséquent, la marque contestée Domaine du Cheval Blanc ayant été déposée le 18 juillet 1973, cette prescription était acquise le 18 juillet 2003.
De nouveau, le Château Cheval Blanc s’est pourvu en Cassation, arguant que le caractère trompeur de la marque ne pouvait être éliminé ni par le temps ni par l’usage et considérant en conséquence que les tiers devraient être autorisés à invoquer ce motif aussi longtemps que la marque demeurait en vigueur.
À cet égard, la Cour de cassation rappelle que, s’il est correct que le vice de déceptivité, dont une marque est entachée, ne puisse être purgé ni par l’usage ni par le temps, ce fait n’est pas de nature à rendre imprescriptible l’action, par voie principale, en nullité de la marque fondée sur ce vice et n’a donc pas pour effet de suspendre le délai de prescription tant que la marque demeure inscrite au registre national des marques.
Par ailleurs, sur le préjudice de contrefaçon, la cour confirme l’appréciation souveraine des juges du fond faute pour le Château Cheval Blanc d’avoir démontré un quelconque préjudice du fait de l’usage du vocable « Cheval Blanc » par leurs concurrents. Aussi, l’interdiction faite au défendeur d’utiliser à l’avenir ce vocable au sein de sa dénomination suffit à réparer l’entier préjudice des demandeurs.
Une telle affaire nous rappelle que le titulaire d’une marque qui n’a pas réagi à l’enregistrement et à l’exploitation d’une marque postérieure concurrente dont il connaissait l’existence, ne peut plus en demander la nullité ni s’opposer à son usage après un certain laps de temps, sauf en cas de fraude.
C’est le principe de la « forclusion par tolérance », qui transpose au droit des marques le célèbre adage « qui ne dit mot consent ».
En effet, selon l’article L.714-3 du Code de la propriété intellectuelle, une action en nullité est irrecevable si la marque a été déposée de bonne foi et si le titulaire de la marque antérieure en a toléré l’usage pendant cinq ans. L’article L.716-5 du même Code prévoit par ailleurs que l’action en contrefaçon d’une marque postérieure enregistrée dont l’usage a été toléré pendant cinq ans est irrecevable, à moins que son dépôt n’ait été effectué de mauvaise foi.
En l’occurrence, et bien que le Château Cheval Blanc ait habilement fondé son action sur le double moyen de la déceptivité de la marque et de la contrefaçon par imitation en vue de contourner une éventuelle forclusion de son action, la Cour de cassation rappelle que l’action fondée sur la tromperie est soumise à la prescription du droit commun. Ainsi, le Château Cheval Blanc, qui a toléré la marque Domaine du Cheval Blanc pendant plus de trente ans, est désormais irrecevable à en demander la nullité.
Quand on sait que le délai de prescription de droit commun est désormais de cinq ans, on ne peut qu’appeler les titulaires de marque à la plus grande vigilance ! Le simple envoi d’un courrier de mise en demeure n’ayant pas pour effet d’interrompre le délai de forclusion, il devra donc être suivi, si l’usage litigieux perdure, par une action en nullité ou une assignation.
Par ailleurs, et afin de détecter dès leur dépôt des marques potentiellement gênantes, il est vivement recommandé de mettre en place une surveillance sur vos marques stratégiques. Cette démarche vous permettra d’agir contre des marques déposées par des tiers portant atteinte à vos droits, par le biais de procédures administratives ou judiciaires, et de vous prémunir ainsi contre la forclusion par tolérance.
Marion ALARY – Juriste en propriété intellectuelle – INLEX IP EXPERTISE – Département Lexwine