Adoption de la Loi PACTE : une bonne nouvelle pour Cheval Blanc ?

Adoption de la Loi PACTE : une bonne nouvelle pour Cheval Blanc ?

Le 8 juin 2017, la Cour de Cassation rendait un arrêt mettant fin à près de 9 ans de procédure, opposant le Château Cheval Blanc à l’EARL Chaussié de Cheval Blanc, en annulation, notamment, de la marque Domaine du Cheval Blanc déposée le 18 juillet 1973.

Pour résumer brièvement l’affaire[1], l’action initiée en 2008 par le Château Cheval Blanc reposait sur un double fondement :

  • La contrefaçon par imitation : motif écarté par les juges pour cause de forclusion par tolérance, le Château Cheval Blanc ayant toléré la marque litigieuse durant plus de cinq ans ;
  • Le caractère déceptif de la marque : ici également, les juges considèrent que l’action en nullité fondée sur le caractère trompeur de la marque Domaine du Cheval Blanc est irrecevable, celle-ci étant soumise au délai de prescription de droit commun qui était de trente ans au moment de l’assignation (depuis 2008, ce délai a été ramené à cinq ans).

Dans ces conditions, le Château Cheval Blanc, qui a toléré la marque Domaine du Cheval Blanc pendant plus de trente ans, est désormais irrecevable à en demander la nullité.

L’affaire paraît donc terminée, pourtant, le 11 avril dernier, l’adoption du plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Loi PACTE) par le Parlement pourrait changer la donne.

En effet, son Chapitre IV, qui vise à favoriser l’innovation au sein des entreprises, comporte un certain nombre de dispositions relatives à la propriété industrielle, et en particulier à la prescription des actions en contrefaçon et en nullité (article 42 quinquies) :

  • D’une part, le troisième alinéa de l’article L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), est complété de la manière suivante : l’action en contrefaçon se prescrit par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer » ;
  • D’autre part, un nouvel article L. 714-3-1 prévoit que « sans préjudice du troisième alinéa de l’article L. 714-3 et de l’article L. 714-4, l’action en annulation d’une marque n’est soumise à aucun délai de prescription».

Dans ces conditions, l’action en nullité fondée sur un motif absolu ne sera plus soumise à aucun délai de prescription.

Ces mesures devraient entrer en vigueur dans le courant de l’été, dès l’adoption du décret d’application modifiant le Code de la propriété intellectuelle.

L’on peut alors s’interroger de savoir si, sous l’empire de ces nouvelles dispositions, le Château Cheval Blanc pourrait initier une nouvelle action en annulation à l’encontre de la marque Domaine du Cheval Blanc, sur le fondement de son caractère déceptif ?

Plusieurs obstacles seraient susceptibles de s’y opposer, à commencer par l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de la Cour d’appel, du 5 mai 2015, confirmée par la Cour de cassation, qui avait déclaré « irrecevable parce que prescrite la demande de la société civile Château Cheval Blanc en nullité de la marque Domaine du Cheval Blanc sur le fondement de la déceptivité ». En effet, une telle nouvelle action semblerait remplir les trois conditions d’identité à savoir d’objet, de cause et d’identité des parties.

D’autre part, on relève qu’une loi ne peut avoir un effet rétroactif que si le législateur s’est expressément prononcé sur ce point. En l’espèce, la Loi PACTE ne nous donne pas de précision quant à l’applicabilité de la suppression du délai de prescription dans les cas où celui-ci était déjà acquis, ou dans le cadre des actions en cours et des jugements déjà rendus.

À titre de comparaison, l’article 2222 du Code civil issu de la loi du 17 juin 2008 avait précisé que la loi qui allonge un délai de prescription était sans effet sur une prescription acquise ; quid alors de la loi qui le supprime ?

Dès lors, la question de l’applicabilité de l’imprescriptibilité à des marques anciennes reste sujette à discussion ; s’agissant d’un motif d’intérêt public, nous pouvons néanmoins penser que celle-ci serait envisageable.

À supposer qu’une nouvelle action soit recevable, il resterait pour Château Cheval Blanc à prouver le caractère trompeur de la marque Domaine du Cheval Blanc, sur lequel nous ne nous prononcerons pas ici, mais la suppression du délai de prescription a pour effet de réouvrir une question qui paraissait tranchée.

En tout état de cause, une telle évolution constitue un revirement important après la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, qui avait ramené le délai de prescription de l’action en nullité absolue à cinq ans.

En effet, l’imprescriptibilité de l’action fondée sur un motif de nullité absolue se justifie par un motif d’intérêt général : la protection du consommateur et l’interdiction de tromperie du public. C’est d’ailleurs le point qu’avait tenté, sans succès, d’invoquer le Château Cheval Blanc à l’appui de son pourvoi en Cassation, en argumentant que le caractère trompeur de la marque ne pouvait être éliminé ni par le temps ni par l’usage et que les tiers devaient donc pouvoir invoquer ce motif aussi longtemps que la marque demeurait en vigueur.

En l’absence de délai de prescription, une nouvelle fenêtre de tir s’ouvre donc à l’encontre des marques potentiellement trompeuses. Pour les marques fortes, le risque que le consommateur puisse croire que les marques sont économiquement liées apparaît alors d’autant plus élevé.

Quelles conséquences en tirer ?

  • Pour les titulaires de marque, l’absence de délai de prescription est source d’insécurité juridique et doit donc appeler une vigilance importante tant lors du choix de la marque, que dans son exploitation, afin de limiter le risque de tromperie du consommateur ;
  • Pour les titulaires de marque ayant failli à réagir face à des marques proches, la suppression du délai de prescription pourrait être une nouvelle opportunité de réagir face à des marques susceptibles de tromper le consommateur, notamment sur l’origine du produit ;
  • En matière viticole, où la pratique des seconds vins est répandue, ce risque d’association peut-être d’autant plus important que la marque première est renommée. L’adoption et l’exploitation de telles marques seront donc potentiellement sources de discussions dans le cadre de futures actions judiciaires !

[1] Cf. notre article sur la décision : https://bit.ly/2VJxaEP

Marion ALARY – Juriste en propriété intellectuelle – INLEX IP EXPERTISE – Département Lexwine