Arrêt Kipling c/ EUIPO : le singe remporte la bataille !

Arrêt Kipling c/ EUIPO : le singe remporte la bataille !

Il est constant de considérer, lorsqu’une marque est composée d’un élément verbal et d’un élément figuratif, tous deux distinctifs, que ce dernier jouit d’une importance moindre voire secondaire. Cela a un impact non négligeable sur la stratégie de défense entre deux marques partageant un graphisme proche mais se dissociant par leurs éléments verbaux.

Un arrêt récent du Tribunal de l’Union européenne vient tempérer cette tendance, redonnant à des logos distinctifs de marques semi-figuratives toute leur place.

Les faits : la société VF INTERNATONAL Sagl, titulaire de la marque de sacs KIPLING, a formé opposition contre la marque de l’Union européenne    déposée au nom de Ken Virmani, sur la base de ses marques européennes  et .   A l’appui de ses oppositions, la société VF INTERNATONAL invoque le risque de confusion et la renommée de ses marques antérieures.

La Division d’opposition puis la Chambre des recours de l’EUIPO rejettent l’opposition au motif qu’il n’existe aucune similitude sur le plan visuel, phonétique et conceptuel entre les marques en présence.

La société VF INTERNATIONAL forme alors un recours devant le Tribunal de l’Union européenne.

Le TUE annule la décision de la Chambre des recours jugeant que celle-ci ne pouvait valablement considérer que les marques en cause ne présentaient aucune similitude sur le plan visuel et conceptuel.

En effet, s’agissant de la comparaison des signes     et   , le TUE constate que :

  • La représentation d’un singe au sein des signes n’est pas négligeable et est tout aussi distinctive que leur partie verbale
  • Les éléments verbaux des signes sont de longueur comparable
  • Les proportions entre les éléments figuratifs et verbaux des deux marques sont semblables
  • Les éléments figuratifs (représentation du singe) sont très proches, les singes étant « tous deux représentés de profil à quatre pattes sous la forme d’une silhouette de couleur noire avec une queue particulièrement longue par rapport à leur taille et d’une corpulence semblable».

Le TUE en conclut que c’est donc à tort que la Chambre des recours a écarté toute similitude visuelle entre les signes.

Sur le plan conceptuel, le TUE sanctionne l’argumentation de la Chambre des recours selon laquelle la similitude conceptuelle entre les deux marques est subordonnée à la présence dans celles-ci d’éléments verbaux évoquant un singe. Selon le raisonnement du Tribunal, dans la mesure où les éléments verbaux des marques n’ont aucune signification, ils n’auront pas d’impact sur la perception du public pertinent, et celui-ci percevra donc les signes en cause comme se référant à un singe, du fait de la présence au sein des deux signes de la représentation non négligeable d’un singe.

Le Tribunal en conclut qu’il ne pouvait être considéré que les marques ne présentaient aucune similitude sur le plan intellectuel.

Le Tribunal transpose mutatis mutandis ce raisonnement s’agissant de la comparaison visuelle et conceptuelle des signes   et  .

S’agissant de la comparaison phonétique, le TUE juge que c’est à tort que les marques ont été considérées comme phonétiquement dissemblables car il n’y avait pas lieu de conclure ni à une similitude ni à une dissimilitude phonétique entre ces deux signes, dans la mesure où la marque    est figurative et dépourvue d’éléments verbaux.

Le Tribunal se prononce enfin sur la renommée des marques antérieures, invoquée par l’opposant et rejetée à la fois par la Division d’opposition et la Chambre des recours.

Le TUE confirme leur conclusion selon laquelle les éléments de preuves fournis sont insuffisants pour établir la renommée des marques antérieures : « soit ils ne renseignent pas directement sur des éléments pertinents, soit ils démontrent uniquement que ces marques ont disposé d’une certaine visibilité médiatique, dont elles pourraient encore disposer, mais dont il ne peut pas être déduit avec une suffisante certitude qu’elle a conféré auxdites marques une notoriété auprès d’une partie significative du public pertinent, à savoir le grand public. Or, la renommée d’une marque ne saurait être présumée sur la base d’éléments fragmentaires et insuffisants »

Ce qu’il faut en retenir :

  • Cet arrêt s’inscrit dans la tendance actuelle de durcissement des exigences en termes de preuves d’usage ou de notoriété et rappelle donc l’importance de ne pas minimiser son dossier de preuves et d’instaurer un vrai process interne visant à collecter en amont et au fur et mesure des éléments de preuves, la renommée n’étant de plus pas figée dans le temps sur un plan juridique comme le rappelle cet arrêt ;
  • Cette décision rompt avec la jurisprudence antérieure car elle vient donner autant d’importance, voire presque davantage aux éléments graphiques distinctifs, qui sont traditionnellement considérés comme secondaires au sein d’une marque complexe par rapport aux éléments verbaux qui seraient également distinctifs ;
  • La nécessité de ne pas négliger les éléments figuratifs au sein d’une marque, que ce soit dans le cadre de la sécurisation de cette marque, de son dépôt ou encore de sa défense.

Tetyana Delory – Conseil en PI

Isabeau Harretche – Conseil en PI