Revenons sur l’affaire opposant les propriétés viticoles CHÂTEAU FIGEAC, d’une part, et CHÂTEAU MAGNAN FIGEAC et CHÂTEAU CORMEIL FIGEAC, d’autre part.
Pour mémoire, le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, le 29 novembre 2016, avait prononcé à titre principal :
- La nullité des marques CHATEAU MAGNAN FIGEAC et CHATEAU CORMEIL FIGEAC ainsi qu’une interdiction d’utilisation du vocable FIGEAC, faute d’une reconnaissance d’un droit sur le toponyme FIGEAC, les éléments soumis ne permettant pas, selon les juges, d’apporter la preuve de l’appartenance de ces châteaux au domaine originel de Figeac démembré au XIXème, et
- La déchéance des marques CHATEAU FIGEAC et CHATEAU DE FIGEAC demandée reconventionnellement par les châteaux CORMEIL FIGEAC et MAGNAN FIGEAC sur la base de leur déceptivité, faute pour le CHATEAU FIGEAC d’avoir rapporté la preuve d’une vinification séparée de ses châteaux par rapport aux autres vins du domaine, notamment PETIT FIGEAC et LA GRANGE NEUVE FIGEAC.
La Cour d’appel de Bordeaux, dans son arrêt du 29 octobre 2019, infirme le jugement du TGI sur ces deux points.
Il convient d’évoquer les notions de droit au toponyme et vinification séparée qui sont au cœur de cette affaire, et de revenir sur la pratique des déclinaisons du nom de l’exploitation vitivinicole.
→ Le droit au toponyme aussi appelé privilège du tènement répond à des critères clairement définis, à savoir : les parcelles cultivées en vigne dont le nom est donné au vin doivent correspondre à une superficie significative de l’exploitation vitivinicole et leur production doit faire l’objet d’une vinification séparée.
Sont ainsi compilés un critère foncier et une exigence propre à l’élaboration du vin.
Quant à l’existence même d’un tènement, nous pourrions penser qu’elle repose uniquement sur un élément de nature foncière, à savoir le cadastre, qui suffirait à le prouver. Toutefois c’est un leurre, et il est justement rappelé que cette notion résulte d’un faisceau d’éléments, ajoutant au simple cadastre – lequel n’est pas statique dans le temps – des notions géographique, historique et juridique.
En l’espèce, les faisceaux qui tendent à reconnaitre le droit au toponyme FIGEAC aux châteaux CORMEIL FIGEAC et MAGNAN FIGEAC sont en effet de différentes nature, à savoir :
- Historique : les parcelles de CORMEIL et de MAGNAN ont appartenu à la famille CAZES/CARLES, alors propriétaire du grand domaine originel de FIGEAC, par la suite démembré au gré de plusieurs cessions.
- Juridique : les actes notariés du XIXème mentionnent un domaine appelé CORMEY qui est situé dans le tènement de FIGEAC et divisé en deux borderies (CORMEY et MAGNAN).
- Géographique : la cartographie du XVIIIème enserre les lieux-dits de CORMEY et de MAGNAN dans un triangle compris entre un axe SAINT-EMILION/FIGEAC au nord, et au sud, RIVALON, situé le long du chemin SAINT-EMILION/LIBOURNE, ayant été admis judiciairement que ce dernier domaine appartenait également au tènement de FIGEAC.
Ainsi, les marques CHATEAU MAGNAN FIGEAC et CHATEAU CORMEIL FIGEAC ne seraient pas déceptives dès lors que le domaine jouit d’un droit d’usage du terme Figeac.
→ Le droit au toponyme Figeac est donc reconnu, sans pour autant s’attarder sur l’exigence de vinification séparée qui avait été écartée en première instance, car faute de reconnaissance du droit au toponyme elle n’avait pas lieu d’être.
Pourtant c’est notamment ce critère de la vinification séparée qui avait amené la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 octobre 2009, à casser un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux qui reconnaissait le privilège du tènement Figeac au Château Croix Figeac sans constater « que les raisins en provenance de la parcelle issue de l’ancien domaine de Figeac faisaient l’objet d’une vinification séparée ».
Car, en effet, ce critère « technique » exige la mise place d’une traçabilité pour que les raisins récoltés sur les parcelles bénéficiant du toponyme revendiqué ne soient pas mélangés aux raisins récoltés sur d’autres parcelles de l’exploitation.
Cette exigence de traçabilité, propre au privilège du tènement, ne saurait donc dans cette affaire être imposée au Château Figeac à l’égard de ses vins PETIT FIGEAC et LA GRANGE NEUVE FIGEAC, dès lors qu’ils revendiquent tous le même tènement dont ils sont issus.
En prononçant la nullité des marques CHATEAU FIGEAC et CHATEAU DE FIGEAC en première instance, les juges auraient donc mal employé la notion de vinification séparée.
Effectivement, tel que le rappellent les juges de la Cour d’appel de Bordeaux, il n’existe pas d’obligation légale ou réglementaire d’une vinification séparée des premier, second et troisième vins d’un même domaine. La pratique même de l’assemblage dans le bordelais rendrait une telle traçabilité irréalisable dès lors qu’elle consiste à sélectionner la partie la plus qualitative de la récolte du domaine pour l’affecter in fine à l’assemblage du premier vin.
Nous pourrions toutefois penser que l’exigence de vinification séparée aurait été légitime pour les vins revendiquant le nom Figeac, d’une part, et le Château de Millery, d’autre part, s’ils s’avèrent être tous vinifiés sur la même exploitation.
Le Château Figeac n’ayant pas à prouver la vinification séparée demandée en première instance, le jugement en ce qu’il prononcait la déchéance des marques CHATEAU FIGEAC et CHATEAU DE FIGEAC est infirmé.
→ De plus et pour finir, le Château Figeac produit des éléments de traçabilité prouvant que ses vins désignés par le vocable Figeac sont tous issus de parcelles intégrées dans l’assiette foncière du domaine.
Sur ce dernier point, la Cour rappelle effectivement une disposition réglementaire importante qu’est l’article 6 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 qui mérite d’être reproduit en l’état : « Seuls les vins figurant au titre de la déclaration de récolte et au titre de la déclaration de production de l’exploitant, au sens des articles 8 et 9 du règlement du 26 mai 2009 susvisé, peuvent bénéficier du nom de l’exploitation ». Exigence à laquelle répondent les vins PETIT FIGEAC et LA GRANGE NEUVE FIGEAC.
L’arrêt récent de la Cour d’appel de Paris du 29 mars 2019 a pourtant retenu que la marque RONAN BY CLINET n’était pas trompeuse notamment car elle ne laissait pas entendre au consommateur qu’elle provenait du lieu-dit Clinet, c’est-à-dire de l’exploitation vitivinicole Château Clinet.
Les marques de négoce semblent avoir été consacrées par cet arrêt ou encore par l’affaire Petrus Lambertini, toutefois, il s’agit d’une approche au cas par cas et les déclinaisons du nom de l’exploitation restent un terrain glissant ; car telle que la notion est abordée dans l’affaire Figeac l’approche semble plus stricte, notamment en référence à l’article 6 du décret n° 2012-655 du 4 mai 2012.
Ce qu’il faut retenir :
- Pour revendiquer un droit au toponyme, à vos archives car le seul cadastre ne suffit pas !
- La vinification séparée est une exigence pour la revendication d’un droit au toponyme mais pas pour les premier, second et troisième vins qui sont des déclinaisons du nom de votre exploitation.
- Les déclinaisons du nom de l’exploitation pour des marques dites de négoce, i.e. désignant des vins non issus de l’exploitation auxquelles elle se réfèrent, ont été récemment tolérées, mais elles sont naturellement plus sécurisées pour désigner un vin issu des parcelles appartenant à l’assiette foncière de l’exploitation, ce qui est en principe le cas des second et troisième vins. Globalement, ce type de marques de vin restent à examiner à la loupe en amont pour évaluer le risque pris.
En tout état de cause, nous retenons que la présente décision a levé un doute majeur relatif à la question de la vinification séparée, sur laquelle le jugement du TGI avait semé le trouble.
La saisine de la Cour de cassation reste possible, affaire à suivre…
Annabella BIFFI
Inlex Ip Expertise – Département Lexwine