Décision Maucaillou…2 poids 2 mesures !

En date du 12 décembre 2019, le Tribunal correctionnel de Bordeaux a rendu son verdict condamnant Monsieur Pascal Dourthe ainsi que la SAS Les Notables de Maucaillou.

Ces derniers étaient poursuivis pour avoir offert à la vente des bouteilles de vin sous la marque Le Bordeaux de Maucaillou, dont le vin n’était pas issu des parcelles de l’exploitation Maucaillou, l’étiquetage reprenait en outre la même présentation que celui des vins issus de la propriété (charte graphique, présentation, agencement visuel, typographie, tailles de caractères, mise en avant du mot Maucaillou).

Le Bordeaux de Maucaillou reposait donc selon le tribunal sur des allégations, indications ou présentations fausses de nature à induire en erreur le consommateur.

Pour mémoire la SAS Maucaillou commercialise en effet des vins sous les marques Château Maucaillou, N°2 de Maucaillou et le Haut Médoc de Maucaillou, ces trois vins provenant de vignes rattachées à l’exploitation Château Maucaillou, les étiquettes de vin comportant la représentation graphique du Chateau.

La SAS Les Notables de Maucaillou commercialisait, quant à elle, les vins Le Bordeaux de Maucaillou dont l’étiquetage faisait apparaitre la même représentation graphique du Château Maucaillou, la même police de caractères et mettait en évidence le terme Maucaillou.

Les prévenus rappelaient que si la marque domaniale, du fait de la mention d’un terme réglementé  Château, se devait d’entretenir une dépendance totale avec le vignoble éponyme, il en allait différemment des marques commerciales n’incluant pas ce type de terme.

Il en va en effet depuis des décennies ainsi de marques telles que Mouton Cadet, Clarendelle…inspiré par haut Brion, l’esprit de Pavie etc…lesquelles ont décliné l’image d’un savoir-faire par le biais de marques reprenant de près ou de loin une référence à une marque domaniale.

En l’espèce, l’infraction poursuivie concernait donc celle des pratiques trompeuses tout comme cela était le cas dans les affaires Pétrus Lambertini et Ronan by Client.

Pour mémoire, une pratique commerciale est réputée trompeuse lorsqu’elle contient des informations fausses ou qu’elle est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen et qu’elle est, en outre, de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique de celui-ci en le conduisant à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.

Or, selon les constatations de la DIRECCTE, le consommateur normalement informé, raisonnablement attentif et avisé doit s’attendre à ce que « Le Bordeaux de Maucaillou » soit également issu des vignes de l’exploitation Château Maucaillou comme cela est le cas des marques Château Maucaillou, N°2 de Maucaillou et le Haut Médoc de Maucaillou.

Le fait que « Le Bordeaux de Maucaillou » désigne une AOC Bordeaux alors que le Maucaillou se rattache à l’appellation Moulis ne suffirait pas à lever toute ambiguité, la contre-étiquette pouvant au contraire laisser penser à un rattachement.

Par ailleurs, le dépôt de la marque opéré à l’INPI faisait apparaitre également la représentation du Château ; quant à sa titularité initiale au nom du Château de Beau Rivage, elle avait ensuite évolué au profit du Château Maucaillou puis de la société de négoce.

Selon les autorités, il appartenait donc aux prévenus, du fait de leur volonté de créer une famille de marques, d’être plus explicites quant à l’origine des vins commercialisés surtout lorsque la différence de prix n’est pas aussi flagrante entre le vin de Château et le vin de négoce.

Le tribunal a ainsi retenu qu’« il ne s’agit pas de tromperie ou de déceptivité, mais d’une pratique commerciale trompeuse. Il y a un risque de confusion. Le consommateur normalement informé et raisonnablement attentif s’attend à ce que le Bordeaux de Maucaillou vienne du Château Maucaillou ».

Cette décision s’inscrit naturellement dans les récentes décisions Petrus Lambertini et Ronan by Clinet.

Pour rappel, dans la décision Petrus Lambertini, la Cour avait évacué les pratiques commerciales trompeuses considérant, en effet, que le choix de la marque Petrus Lambertini « constituait une utilisation habile de la marque pour attirer la clientèle ».

Paradoxalement, la Cour justifiait alors l’absence de risque de confusion pour le consommateur moyennement averti en matière de vin par la bonne connaissance de celui-ci des différentes AOP, en relevant que Petrus est un vin d’appellation Pomerol et que donc le vin Petrus Lambertini d’appellation Côtes de Bordeaux ne pouvait être son second vin !

Dès lors que ce vin revendiquait l’appellation « Côtes de Bordeaux », cela n’engendrait donc pas, selon la Cour, la moindre confusion avec le prestigieux vin de Pomerol dénommé Pétrus.

En outre, le consommateur ne serait pas susceptible d’être induit en erreur par le vin Pétrus Lambetini car il n’y aurait pas d’ambigüité sur l’étiquette. Selon la Cour, le consommateur moyennement averti serait suffisamment informé pour savoir qu’un second vin de Petrus ne pourrait pas être produit en Côtes de Bordeaux car il saurait que Pétrus est un vin d’appellation Pomerol, de plus le consommateur saurait que Pétrus n’a pas de second vin.

La Cour avait évacué le risque de tromperie, en accordant une grande compétence au « consommateur moyennement averti en matière de vin » qui « sait qu’il existe des appellations » et qui sait donc, comme expliqué plus haut, que Petrus est un vin d’appellation Pomerol et que donc le vin Petrus Lambertini d’appellation Côtes de Bordeaux ne peut en être son second vin !

Dans l’affaire Ronan by Clinet, la Cour avait quant à elle défini le public visé, comme constitué de consommateurs de vins, occasionnels, réguliers ou connaisseurs des vins en général et non de spécialistes de l’appellation Pomerol ou experts œnologues.

Elle avait relevé que ni la notoriété des vins Château L’église Clinet et Château Clinet, ni la connaissance de la qualité de ces vins comme étant des vins d’appellation Pomerol, n’a été établie auprès du public visé.

 

 

En effet, un sondage versé aux débats par les appelantes, effectué auprès de 1035 personnes représentatives de la population de 30 à 70 ans consommatrices de vins,

Ainsi, la Cour avait estimé que « le consommateur moyen de vin n’associe pas les vins Château l’Eglise Clinet et Château Clinet à des vins d’appellation Pomerol, il n’est pas démontré que la présence du seul terme Clinet (…) pourrait lui laisser penser qu’il s’agit d’un vin d’AOP Pomerol ».

Dès lors la présence du terme Clinet au sein des marques Ronan by Clinet ne laissait pas à penser au consommateur moyen qu’il s’agit d’un vin d’AOP Pomerol et/ou qu’il provient du lieu-dit Clinet.

Elle relevait, par ailleurs, que les étiquettes des vins Ronan by Clinet mentionnaient clairement qu’il s’agissait d’un vin de Bordeaux et qu’il avait été mis en bouteille par la société Groupe Clinet en sa qualité de négociant, de sorte qu’il n’existait aucun risque que le consommateur puisse croire qu’il s’agissait d’un vin d’AOP Pomerol.

De plus, la mention selon laquelle le propriétaire du Groupe Clinet était également propriétaire du Château Clinet n’était pas non plus de nature à induire en erreur le consommateur. En effet, il ne pouvait être reproché à la société Groupe Clinet de tirer profit de la notoriété de son vin Château Clinet clairement évoqué comme un vin distinct, de « château ».

Les analyses faites par les tribunaux dans ces 3 affaires laissent pour le moins songeurs !

Devant des décisions aussi partiales, quels sont les enseignements à en tirer pour l’avenir :

  •  Les marques de négoce sont nécessaires au secteur viticole et peuvent, comme tout le monde le sait aujourd’hui, représenter un avantage commercial non négligeable dès lors qu’elles permettent de « décliner » une marque domaniale.
  • Cela étant, on constate que ces marques sont aujourd’hui dans le viseur de bon nombre d’opérateurs, qui les voient comme des marques trompeuses : elles sont donc amenées à être challengées sur le terrain judiciaire.
  • On voit bien que l’appréciation de la pratique trompeuse dépend de façon non négligeable de la connaissance « du vin » que le tribunal prête ou non au consommateur
  • Dès lors, la création de marques commerciales dérivées d’un nom de Château n’est jamais « neutre » et doit faire l’objet d’une réflexion préalable, tant du point de vue de la stratégie commerciale de l’exploitant que de sa faisabilité juridique !
  • De surcroît, tout au long de son exploitation, il convient de veiller à ce que ni l’usage de la marque commerciale ni les communications y-relatives ne soient susceptibles de tromper le consommateur, en laissant croire que les vins proviennent de l’exploitation concernée.

 

La décision « Maucaillou » a été prise à la lumière d’un certain nombre de « maladresses » notamment administratives (choix du visuel utilisé et déposé à l’INPI, communication sur la contre-étiquette, famille de marques, titularité…), cependant elle permet néanmoins de préciser d’avantage les « bonnes pratiques » que les opérateurs doivent à ce jour respecter pour limiter les risques de réactions.

Dès lors, cette décision ne doit pas être considérée comme une « mise à mort » des marques de négoce mais, au contraire, et à la lumière des décisions Ronan by Clinet et Petrus Lambertini comme un renouveau de ces marques dans le respect du choix du consommateur.

La saga Maucaillou ne fait que commencer. Cette décision va en effet faire l’objet d’une procédure d’appel.

 

Céline BAILLET, Conseil en Propriété Industrielle Cabinet INLEX/département LEXWINE