Arrêt GRIMBERGEN : Kronenbourg dans l’œil du phœnix de la Loi Evin

Déjà affaiblie par une crise sanitaire mondiale sans précédent, la filière des vins et spiritueux connait un nouveau coup dur avec l’arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 20 mai 2020, publié au Bulletin, interrogeant la conformité de la dernière campagne publicitaire de Grimbergen à Loi Evin. En effet, avec cet arrêt, la Cour de cassation procède à une interprétation extensive de la Loi Evin en affirmant que toute publicité sur les boissons alcooliques doit présenter un caractère objectif et informatif, quelle que soit la caractéristique de la boisson mise en avant, y compris l’origine.

Rappel des faits

Dans cette affaire, l’ANPAA (l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) assigne la société Kronenbourg (exploitant la bière GRIMBERGEN), pour obtenir l’interdiction de la diffusion de deux films intitulés « La légende du Phoenix » et « Les territoires d’une légende », d’un jeu dénommé « Le jeu des territoires » et de publicités comportant le slogan « L’intensité d’une légende ». Ces publicités mettaient en avant l’origine légendaire de la bière en présentant de façon stylisée le mythe du phœnix, emblème de l’abbaye de Grimbergen avec pour toile de fond l’imagerie véhiculée de la très populaire série “Game of Thrones”.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 13 décembre 2018, avait rejeté l’ensemble des demandes de l’ANPAA, en retenant que le caractère objectif des indications contenues dans la publicité ne s’imposait qu’aux mentions relatives à la couleur du produit et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.

Sur la base d’une lecture littérale de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique (CSP), la Cour d’appel de Paris avait en effet jugé que « les mentions ne doivent être purement objectives que lorsqu’elles sont relatives à la couleur, aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit, ce qui laisse la place à l’imagination des concepteurs des messages publicitaires lorsque la communication porte sur d’autres éléments de communication, tels que l’origine, la dénomination ou la composition du produit ».

Elle en déduisait que « le film de la société Kronenbourg ne peut encourir de critique lorsqu’il décrit l’histoire de l’Abbaye de Grimbergen et vient expliciter le choix qu’elle a fait de son emblème et de sa devise, du fait de ses renaissances successives après de multiples destructions ; que le choix de recourir à un récit narratif évoquant, en premier lieu, ce qu’a été, à travers les âges, le phœnix, emblème de la marque et dont la société Kronenbourg peut faire usage dans sa communication, n’altère nullement le fait que le contenu du message porte sur l’origine du produit ».

En d’autres termes, la Cour d’appel estimait ainsi que l’origine du produit, sa dénomination ou encore sa composition pouvaient être abordées de façon symbolique ou hyperbolique, laissant de la place à la créativité des concepteurs de messages publicitaires. Elle avait par ailleurs soutenu que seule la publicité incitant à une consommation excessive d’alcool était illicite en contrevenant aux objectifs de santé publique fixés par la Loi Evin.

L’ANPAA s’est pourvue en cassation contre cette décision, soutenant que toutes les indications figurant sur les publicités pour boissons alcooliques doivent être informatives et objectives pour être licites.

Revenant à une interprétation stricte des dispositions du CSP, la Cour de Cassation a cassé cet arrêt d’appel en retenant que « si la publicité pour les boissons alcooliques est licite, elle demeure limitée aux seules indications et références spécifiées à l’article L. 3323-4 précité, et présente un caractère objectif et informatif lequel ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ».

Ainsi, la Cour de cassation balaye le raisonnement de la Cour d’Appel qui introduisait une distinction en fonction des différents thèmes limitatifs qu’il est possible d’évoquer dans une publicité pour une boisson alcoolique.

Enseignements de l’arrêt

  • En affirmant que la publicité pour des boissons alcooliques doit rester informative et objective, et ce quelle que soit la caractéristique du produit mise en avant, l’arrêt de la cour de cassation apparait à contre-courant de la récente tendance jurisprudentielle plus souple et revient à une vision traditionnellement restrictive de l’interdiction de publicité posée par Loi Evin.

Cette décision marque en effet un tournant suite à un arrêt marquant de 2015 qui présentait au contraire un certain assouplissement dans l’interprétation des dispositions issues de la loi Evin.

Dans cette affaire, les juges avaient validé la campagne promotionnelle du Comité Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB) sous le nom de « Portraits de vignerons ».

Dans sa décision, rendue au visa de l’article L. 3323-4 du CSP, la Cour de Cassation rappelait l’objectif poursuivi par le législateur admettant que « la publicité en faveur d’une boisson alcoolique demeure en principe licite, la loi se bornant, dans un but de prévention d’une consommation excessive, à en limiter ses modalités ; que, par nature, toute publicité ne peut avoir comme objectif que de modifier le comportement de son destinataire en provoquant l’achat du produit présenté, soit en provoquant le désir d’acheter et de consommer ; que la présentation du produit à promouvoir suppose donc que ce dernier, et sa consommation, soient présentés sous un jour favorable et de façon attractive »

  • La Cour de cassation étend le critère d’objectivité et d’information en positionnant un principe général d’objectivité et d’information pour toute publicité en matière d’alcool quel que soit le contenu publicitaire autorisé à l’article L3323-4 du CSP.

Ce dispositif repose sur une interprétation extensive de la Loi Evin, qui rappelons le, demeure à ce jour la plus grande loi de santé publique dont la France se soit dotée et qui pose une interdiction générale de principe pour la publicité des boissons alcoolisées.

En effet, la Loi Evin du 10 janvier 1991 prohibe par principe toute publicité pour l’alcool, sous réserve d’exceptions limitativement autorisées par le code de la santé publique en termes de supports et contenus (articles L.3323-2 et L.3323-4 de ce Code).

Implications concrètes pour les publicitaires en matière d’alcool

Nouveau coup dur pour le secteur des boissons alcoolisées, ce revirement opéré par la cour de cassation limite un peu plus le champ créatif des publicitaires en matière d’alcool.

En définitive, s’il est possible de communiquer notamment sur l’origine du produit ou sur sa composition, ces références doivent donc rester strictement objectives et informatives, et ce, dans le cadre strict des mentions autorisées par la Loi Evin.

L’affaire ayant été renvoyée devant la Cour d’Appel de Versailles, celle-ci devra donc analyser le contenu des films et du jeu litigieux à l’aune de cette interprétation stricte de la Loi Evin. A suivre, donc…

Dans l’intervalle, cette décision risque de susciter un certain nombre d’interrogations de la part des opérateurs du secteur, dont la manière de communiquer laisse finalement peu de place à l’imaginaire. En effet, ces derniers qui devaient déjà faire preuve d’inventivité pour adapter leurs campagnes publicitaires au cadre strict de la Loi Evin, font face à un nouveau casse-tête pour valoriser leurs produits et leur histoire.

Prudence et ingéniosité sont donc de mise pour promouvoir vos boissons alcoolisées sur la base des éléments limitativement autorisés à l’article L. 3323-4 du CSP.

Marine MENY et Marion ALARY – Juristes en propriété intellectuelle – Département Lexwine