Les décisions marquantes de 2019/2020 commentées par Eric SCHAHL, associé du cabinet INLEX IP EXPERTISE, réunies dans le Recueil de Jurisprudence de la FFF !

Comme chaque année, les Membres du Collège des experts de la Fédération Française de la Franchise (FFF) contribuent  à l’élaboration d’un recueil de jurisprudence lequel regroupe et commente les décisions marquantes rendues par les instances juridictionnelles. L’édition 2019/2020 est enfin rendue publique ! Vous trouverez dans les lignes ci-dessous, 3 décisions commentées par l’associé fondateur du cabinet INLEX IP EXPERTISE, Eric SCHAHL.

Au sommaire :

– L’Éléphant Bleu défend ses couleurs (bleu et blanche) contre le successeur d’un ex-franchisé (Cass., 20 février 2019, n°17-20.652)

– L’Éléphant Bleu et la (très) difficile protection de ses couleurs ! (CA Paris, Ch4.,  1er juillet 2020, n°17-21.498)

– Création publicitaire, paiement du prix et cession de droits (Trib. Jub. Paris, 3e Ch., 3e section, 9 octobre 2020)

 

L’Éléphant Bleu défend ses couleurs (bleue et blanche) contre le successeur d’un ex-franchisé (Cass., 20 février 2019, n°17-20.652)

La question de la protection des éléments de l’image d’un réseau, et particulièrement des couleurs emblématiques des magasins et de la marque, n’est jamais simple.Il existe schématiquement deux modes de protection :

  •  Le droit des marques (pour autant que l’on dispose d’une marque enregistrée couvrant bien la combinaison de couleurs) qui protège contre les tiers, anciens franchisés compris
  • le contrat (pour autant que celui-ci contienne des dispositions propres à la protection des signes distinctifs identifiés, en l’occurrence la combinaison de couleurs, et que l’ex-franchisé soit tenu de les imposer au repreneur de son fonds de commerce)

C’est précisément ce thème qui a été analysé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 20 février 2019 (ch. Commerciale, 17-20.652) et qui va casser un arrêt de la Cour d’Appel de Colmar du 10 mai 2017, n° 14-06282 dans une affaire Hypromat France (Éléphant Bleu) contre Veydis et Julman. Pour résumer les faits, Veydis est un franchisé Éléphant Bleu depuis le 25 décembre 2003 et son contrat en venu à expiration le 25/12/2006 et n’a pas été renouvelé.

Condamnation en référé !

Constatant en 2010 que certains signes distinctifs du réseau continuaient d’être utilisés, Hypromat engage une procédure en référé contre Veydis qui produit alors un acte de cession de fonds de commerce daté de mars 2007 à la société Julman, acte qui comporte un engagement pour Julman de faire disparaitre «tout signe distinctif pouvant rappeler la charte graphique de la franchise Éléphant Bleu». Le juge des référés condamne solidairement le 21 septembre 2010 Veydis et Julman à modifier la station de lavage avec astreinte de 500€ par jour de retard et une provision de 25 K€ au titre de l’indemnité contractuelle résultant de l’article 14 du contrat de franchise.

Condamnation par les premiers juges du fond !

Veydis assigné au fond le 14 novembre 2011 et Julman appelé en garantie, sont condamnés par le TGI de Strasbourg le 7 novembre 2014 à payer chacun 20 K€ de dommages intérêts.La position étonnante des juges d’appel (ultérieurement cassée par la Cour de Cassation).

Par arrêt du 10 mai 2017, la Cour d’Appel de Colmar:

  • met hors de cause Veydis au motif que la liquidation amiable de Veydis a eu lieu antérieurement au début de l’instance
  • retient la faute de Julman dès lors qu’il est établi que, de 2007 à 2010, la station de lavage a gardé une apparence rappelant la charte graphique de l’Éléphant Bleu malgré l’ajout de couleur verte limitée aux poteaux et sur de faibles surfaces.

Mais les juges d’appel relèvent que Hypromat déduit de cette faute un dommage sur lequel elle n’apporte cependant aucune précision, ni pièce. Et, de façon assez surprenante, ils ajoutent que «le long délai entre la fin du contrat de franchise et les premières mises en demeure adressées à Julman, il n’y avait plus depuis longtemps, au moment de l’assignation initiale, de risque de confusion pour la clientèle».

  • déboute,en conséquence, Hypromat de sa demande d’indemnisation

De manière intéressante, la CA de Colmar rappelle que Hypromat et Julman ne sont liées par aucune convention et que, du fait de l’effet relatif des contrats, aucune stipulation des deux contrats (Hypromat / Veydis et Veydis / Julman) ne peut être invoquée. Mais, ajoutent les juges, cela ne fait pas obstacle à l’invocation d’un manquement contractuel si ce manquement a causé un dommage.

Et la Cour de Cassation casse l’arrêt en faveur d’Hypromat !

Par arrêt du 20 février 2019, la Cour de Cassation casse l’arrêt en retenant que:

  • la Cour d’Appel avait relevé d’office la liquidation amiable antérieure de Veydis pour la mettre hors de cause sans permettre aux parties de présenter leurs observations
  • la faute retenue de Julman, portant atteinte à l’image du réseau, était de nature à causer un préjudice au franchiseur
  • le droit à réparation nait au jour de la survenance du dommage et que la disparition éventuelle du dommage au jour où la victime saisi le juge pour obtenir réparation ne prive pas la victime de son action

Que doit-on retenir ?

  • tout d’abord, qu’il est souhaitable d’agir très vite lorsque l’on détecte une situation, la dilution est l’ennemi mortel de la protection…
  • ensuite, que lorsqu’un franchisé sort du réseau, il faudrait faire passer un contrôleur pour vérifier que tout est conforme aux engagements pris dans le contrat (et, en cas de non respect, le faire constater de suite par huissier)
  • que les engagements contractuels successifs (A vers B, B vers C) complexifient grandement la tâche-que le droit des marques peut être un atout pour une décision rapide pour autant qu’on ait les bons droits de PI

car plus de 10 années de litiges pour faire simplement modifier des couleurs, cela est bien long et, sans aucun doute, coûteux !

 

L’Éléphant Bleu et la (très) difficile protection de ses couleurs ! (CA Paris, Ch4.,  1er juillet 2020, n°17-21.498)

La question de la protection des éléments de l’image d’un réseau, et particulièrement des couleurs emblématiques des magasins et de la marque, n’est jamais simple.

Il existe schématiquement deux modes de protection:

  • le droit des marques (pour autant que l’on dispose d’une marque enregistrée couvrant bien la combinaison de couleurs) qui protège contre les tiers, anciens franchisés compris
  • le contrat qui peut protéger contre le co-contractant (pour autant que celui-ci contienne des dispositions propres à la protection des signes distinctifs identifiés, en l’occurrence la combinaison de couleurs, et que l’ex-franchisé soit tenu de les imposer au repreneur de son fonds de commerce)

C’est précisément cette dernière voie de protection, le contrat, qui a été censurée par la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 1 juillet 2020 (affaire n°17/21498 Hypromat France (Elephant Bleu) contre Aulnoy Lavage et JeumontLavage).

Les 1ers juges considèrent la clause de protection des couleurs bleue et blanche de l’Elephant Bleu non écrite!

Pour résumer les faits, Aulnoy Lavage et Jeumont Lavage sont des franchisés Elephant Bleu ayant le même gérant et dont les contrats ne sont pas renouvelés. Aulnoy attaque Hypromat France sur la base de la rupture brutale de relations commerciales établies ce que les juges de 1èreinstance ne retiennent pas.

Par contre, ils considèrent que la clause du contrat de franchise obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleue et blanche et faire repeindre le centre de lavage dans les 6 mois de la cessation du contrat de franchise, est réputée non écrite aux motifs qu’elle ne précise aucune limite dans le temps pour cette interdiction et peut avoir pour effet de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’ex-franchisé en l’empêchant de rejoindre un réseau concurrent utilisant les mêmes couleurs.

Les juges d’appel confirment en application de l’article L 341-2 !!

La Cour d’Appel retient en effet que, contrairement aux affirmations d’Hypromat France, la combinaison de couleurs est utilisée par d’autres réseaux concurrents (preuve rapportée par Aulnoy Lavage avec le réseau Aquabloo) et que cette combinaison est aussi naturelle pour une activité de lavage, le blanc symbolisant la propreté associée au bleu symbole de l’eau.

Les juges confirment donc que la clause est de nature à restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant. Ils ajoutent aussi que l’article L 341-2 est d’application immédiate c’est-à-dire pour des contrats conclus avant août 2015, les parties ayant pu alors prévoir des clauses de sortie avec une durée plus longue qu’une année.

Que doit-on retenir ?

  • l’article L 341-2 dispose que toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un contrat de type franchise, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’ancien franchisé, est réputée non écrite (à moins d’être limitée aux terrains et locaux utilisés par l’ex-franchisé, être indispensables à la protection du savoir-faire transmis et ne pas excéder un an…)
  • la protection par le contrat est donc restrictivement encadrée et cette limite d’un an entraine la dilution automatique de l’élément concerné passé ce délai
  • la dilution est l’ennemi mortel de la protection (comme le montre ici le fait que le réseau Aquabloo utilisait aussi la même combinaison de couleurs)
  • mais cet article L 341-2 n’empêche pas d’interdire à un ancien franchisé l’usage des signes distinctifs du réseau pour autant que ceux-ci soient protégés par un droit de PI
  • il est donc nécessaire pour les réseaux d’utiliser tous les droits de propriété industrielle ou intellectuelle à leur disposition pour protéger les éléments essentiels de leur identité (et ainsi de faire un audit des éléments actuellement non protégés hors contrat et de tout usage par un concurrent pouvant entrainer une dilution).

Une utilisation habile de cette notion de signes distinctifs peut aboutir à une meilleure protection de l’identité du réseau.

 

Création publicitaire, paiement du prix et cession de droits (Trib. Jub. Paris, 3e Ch., 3e section, 9 octobre 2020)

Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu le 9 octobre 2020 un jugement en matière de logo, slogan et charte graphique conçus par une agence de communication intéressant sur deux points:

En avril 2016, la société Ixow fait appel à l’agence de communication BUGpour concevoir sa nouvelle identité visuelle (soit un logo, un slogan et une charte graphique) ainsi que la mission de définir une stratégie de communication sur internet.

Les parties s’étaient mises d’accord sur un devis pour un montant de 30000 € HT. Mais, à la suite de cinq factures impayées, représentant un montant de 20 540 euros, hors pénalités de retard, l’agence interrompt sa mission et engage des discussions pour tenter d’obtenir de manière amiable le règlement de ses factures, sans succès. L’agence a alors constaté que son client exploitait sur son site internet, sur les réseaux sociaux et sur différents supports publicitaires et packagings présentés chez des revendeurs, parmi lesquels Décathlon, les éléments d’identité visuelle qu’elle avait créés.

Estimant que ces actes portaient atteinte à ses droits d’auteur sur ses créations (logo, slogan et charte graphique) et constituaient des actes de parasitisme, l’agence parisienne a assigné son client pour obtenir la réparation du préjudice subi.

Les juges ont débouté l’agence de ses demandes au titre du droit d’auteur. Ils ont cependant estimé que l’exploitation de son travail sans paiement de l’intégralité du prix justifiait une sanction sur le fondement du parasitisme. Ils ont donc condamné les sociétés IXOW à lui verser la somme de 22000 euros en réparation de son préjudice (soit finalement environ 10000 euros de plus que le solde de la facture dû, dont le recouvrement faisait l’objet d’une procédure distincte).

Si la question de l’existence ou non des droits d’auteur est assez classique, elle reste très factuelle et nous préférons nous intéresser à l’apparent paradoxe consistant à devoir rémunérer une agence pour un travail non original (puisque le droit d’auteur n’a pas été retenu). Le Tribunal relève que l’exploitation des réalisations par les défendeurs était intensive, via plusieurs médias et ce alors que «plus de la moitié de la rémunération convenue n’avait pas été payée». Il en déduit que cette exploitation constitue l’appropriation injustifiée d’une valeur économique et caractérise les actes parasitaires dénoncés.

L’expression «plus de la moitié de la rémunération convenue n’avait pas été payée» laisse perplexe car faut-il en déduire a contrario que si le reliquat à payer avait été inférieur, les actes de parasitisme auraient été écartés ?

Nous voyons souvent des litiges entre agences et clients suite à une création qui ne plait pas, des retards de livraison, un client qui trouve, a posteriori, que le devis initial est hors de prix, etc. Et le client stoppe alors ses paiements tout en exploitant ou voulant exploiter l’œuvre créée. Or, le plus fréquemment, le contrat dispose que le client bénéficiera d’une cession des droits une fois le paiement intégral effectué.

La situation est donc, pour le client, bloquée: soit le client ne paye pas l’intégralité et il risque d’être attaqué en contrefaçon et/ou parasitisme, soit il paye mais estime que la rendu ne vaut pas le paiement.

Une des solutions consiste à scinder les prestations de l’agence avec des livrables à chaque étape et une cession des droits immédiate (mais qui doit être validée par un écrit) correspondant à l’étape concernée. Et aussi de vérifier en amont que le montant du devis est globalement dans les prix du marché.

 

Eric SCHAHL

Associé d’INLEX IP EXPERTISE

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