Commentaire de l’arrêt Ferrari (CJUE, 5ème chambre, 28.20.2022, Ferrari c/ Mansory & WH, Aff. C-123/20)
Si les sociétés de tuning se sont toujours inspirées du design des voitures les plus emblématiques du marché, Mansory n’aurait-elle pas cette fois-ci été trop loin en donnant à la Ferrari 488 GTB – un modèle de route relativement grand public – l’étonnante apparence de la Ferrari FXX K – hypercar fabriquée en quelques exemplaires seulement ?
A travers cette problématique, c’est surtout une question de dessins et modèles communautaires non enregistrés qui intéressera les juristes que nous sommes.
En effet, tout l’intérêt de cette affaire et de la décision rendue par la CJUE le 28 octobre 2021 porte sur la possibilité de revendiquer un dessin et modèle communautaire non enregistré sur une partie d’un produit (des pièces de carrosserie), dont l’apparence n’a été divulguée qu’à travers des images du produit dans son ensemble (la voiture).
Plus précisément, dans le cas d’espèce, la première divulgation de la Ferrari FXX K avait été faite via un communiqué de presse en décembre 2014.
Lorsque le fabricant italien constate que Mansory crée un kit de tuning reprenant certains composants de la carrosserie de sa voiture, notamment la forme de V sur le capot ou encore le montant central au milieu du bouclier avant, il décide de s’y attaquer en revendiquant un dessin et modèle communautaire non enregistré sur ces parties de carrosserie.
La question est alors posée à la CJUE de savoir si la divulgation de l’image dans son intégralité peut donner naissance à des dessins et modèles sur certaines parties seulement dudit produit, prises isolément.
Dans l’affirmative, et dans le cadre de l’examen du caractère individuel, « quel est le critère juridique à appliquer pour déterminer l’impression globale dans le cas d’une pièce […] incorporée dans un produit complexe ? » Peut-on considérer que « l’apparence de la pièce ne se fond pas complètement dans celle du produit complexe, mais revêt une certaine autonomie et une certaine complétude quant à sa forme qui permettent de constater une impression esthétique globale indépendante par rapport à la forme d’ensemble ? »
- Sur la première question, et comme le rappelle l’avocat général M. Saugmandsgaard ØE dans ses conclusions, le règlement « ne comporte aucune règle spécifique » en matière de divulgation et ne prévoit donc pas d’obligation de divulgation distincte pour chaque partie de produit pour laquelle une protection serait revendiquée. Seul compte le fait que le dessin et modèle ait été divulgué de telle sorte que « dans la pratique normale des affaires » les professionnels du secteur concerné avaient raisonnablement pu en prendre connaissance.
Pas besoin donc d’être plus royaliste que le roi et de préciser là où le règlement ne le fait pas : il ne pèse sur le créateur aucune obligation de divulgation distincte pour chacune des parties des produits pour lesquelles il souhaite bénéficier d’une protection via le droit des dessins et modèles communautaires non enregistrés.
- Sur la seconde question, il est tout d’abord rappelé que le « caractère individuel » s’apprécie, non pas à propos du dessin et modèle d’un produit dans son ensemble par rapport au dessin et modèle des parties qui le composent, mais en fonction d’un dessin et modèle par rapport à d’autres dessins et modèles.
Il est ensuite précisé que pour pouvoir déterminer l’impression globale d’une partie d’un produit, cette dernière doit être visible et identifiable selon les critères habituels à savoir ses lignes, contours, couleurs, forme, texture et/ou matériaux. Elle doit donc produire sa propre impression globale, indépendante de celle du produit complexe.
S’il convient désormais au juge national de déterminer si les documents transmis par Ferrari sont suffisants pour lui permettre de revendiquer un droit des dessins et modèles non enregistrés sur certaines parties de la carrosserie de la FXX K, reste que cette décision nous interroge sur l’issue qu’aurait eu le litige si la FXX K et ses pièces de carrosserie avaient fait l’objet de modèles enregistrés. Bien que plus couteuse et formaliste, cette option s’avère aussi souvent plus sécuritaire, efficace et moins aléatoire.
Audrey Dufrenoy – Conseil en Propriété Industrielle