Focus sur le Reverse Domain Name Hijacking

La procédure UDRP (de l’anglais « Uniform Domain name Resolution Policy ») est une procédure permettant à un titulaire de marque de faire valoir ses droits face à la réservation par un tiers d’un nom de domaine contrefaisant. Ainsi, sous réserve qu’il prouve (i) la similarité entre les signes, (ii) l’absence de droits et intérêts légitimes du réservataire et (iii) sa mauvaise foi, un titulaire de marque peut obtenir la suppression d’un nom de domaine, ou le transfert à son profit.

Néanmoins, cette procédure fait parfois l’objet d’abus de la part des titulaires de marques, qui peuvent souhaiter se voir attribuer un nom de domaine réservé légitimement par un tiers.

Cet abus, c’est le Reverse Domain Name Hijacking (RDNH), et il peut servir de fondement au rejet d’une plainte.

  1. Définition

Le Reverse Domain Name Hijacking est défini à l’article 15(e) des Règles UDRP instaurées par l’ICANN.

« Si après avoir examiné les soumissions, le panel estimait que la plainte a été déposée de mauvaise foi […] le panel devra déclarer dans sa décision que la plainte a été déposée de mauvaise foi et qu’elle constitue un abus de la procédure administrative. »

Autrement dit, selon le texte, le RDNH est la mise en œuvre d’une procédure UDRP de mauvaise foi dans le but de priver un tiers de son nom de domaine. Il peut être soulevé d’office par le Panel, ou être avancé par le réservataire légitime. Le réservataire légitime est celui qui prouve qu’il a un droit ou intérêt dans la réservation du nom de domaine (droit de marque antérieur, autorisation contractuelle etc).

Le simple fait que les 3 conditions de l’UDRP ne soient pas remplies ne permet pas de caractériser le RDNH. Des conditions positives doivent donc être remplies. La synthèse des jurisprudences de l’OMPI dresse une liste non-exhaustive des comportements pouvant caractériser le RDNH :

  • Lorsque le Plaignant savait, au moment du dépôt de la plainte, qu’il ne satisferait pas au moins l’une des 3 conditions de l’UDRP (voir GWG Holdings, Inc. v. Jeff Burgar, Alberta Hot Rods Case No. D2016-1420)
  • Lorsque le Plaignant apporte de fausses informations ou essaye de tromper le Panel (voir HBA Holding LLC v. William Sylvester Case No. D2021-0048)
  • Lorsque la plainte est engagée comme « plan B » après une tentative infructueuse d’acquérir le nom de domaine en question auprès du défendeur (voir Patricks Universal Export Pty Ltd. v. David Greenblatt Case No. D2016-0653)

De manière plus générale, le RDNH peut être caractérisé dès lors qu’une interprétation juste et équitable des faits ne permet pas de constituer la mauvaise foi du réservataire et où une enquête raisonnable permet de révéler la faiblesse objective de la plainte (voir Goldline International, Inc v. Gold Line, WIPO Case No. D2000-1151)

Par cette définition jurisprudentielle on comprend que l’intention malveillante n’est en réalité pas forcément un élément constitutif du RDNH. Le simple fait qu’elle soit « objectivement faible » permet le caractériser. Cette faiblesse est d’ailleurs appréciée avec plus de sévérité lorsque la plainte est déposée via un mandataire (voir GSL Networks Pty Ltd. v. Domains By Proxy, LLC / Alex Alvanos, Bobservers Case No. D2021-2255).

  1. Un abus non sanctionné et non réparé

Si le RDNH paraît être une arme efficace pour le réservataire légitime, elle ne lui offre en revanche aucune compensation en réparation du préjudice subi et il reste déficitaire des frais qu’il a engagés dans la procédure, et notamment de ses frais d’assistance juridique. Situation curieuse pour une victime abusée. Parallèlement, les règles UDRP ne prévoient aucune sanction à l’encontre du plaignant, mis à part le rejet de sa plainte.

On pourrait imaginer un système dans lequel le plaignant serait sanctionné et condamné par exemple à verser une provision réparatrice au défendeur. Certaines procédures nationales sanctionnent les auteurs d’abus, c’est notamment le cas au Royaume-Uni. Néanmoins, en l’absence de sanctions prévues par les règles UDRP, l’abus ne reste que faiblement sanctionné.

En conclusion, le Reverse Domain Name Hijacking protège le réservataire légitime et semble malgré tout permettre de limiter les abus. En effet, depuis la mise en place des règles UDRP en 1999, seuls 500 plaignants ont été reconnus coupables de Reverse Domain Name Hijacking, sur plus de 80 000 plaintes déposées.

Guillaume Cantat– Juriste en Propriété Industrielle