Il y a 4 grandes raisons à cela :
1/ S’il est vrai que la marque confère un monopole, celui-ci n’existe véritablement qu’à partir du moment où on le défend. Avoir une marque confère à son titulaire un droit exclusif sur celle-ci, droit qui lui permet précisément « d’exclure » les tiers. Toutefois, ce pouvoir d’exclusion n’est pas automatique : une fois titulaire d’une marque, il appartient à chacun de prendre ses dispositions en agissant contre les tiers qui tenteraient de se positionner sur un nom ou logo trop ressemblant. Une marque dont la défense n’est pas assurée va s’affaiblir et entrer dans un cercle vicieux : moins la marque est défendue, plus il sera difficile de la défendre. L’inverse est aussi vrai : plus la marque est défendue, et plus il sera aisé d’exclure les tiers.
Se pose alors la question de savoir comment défendre une marque contre de potentielles atteintes ? La première étape, indispensable, est d’avoir effectivement connaissance des éventuelles atteintes.
2/ La plupart des offices qui reçoivent les dépôts de marque, de même que les registres de sociétés ou de noms de domaine, ne vérifient pas la disponibilité d’une marque, ou d’un nom, avant de l’enregistrer. Il appartient donc à chacun de surveiller ces différents registres, si l’on souhaite être informé d’une potentielle atteinte pour ensuite se défendre.
Ne pas surveiller, c’est donc accepter le risque que des tiers se positionnent sur un nom ou logo identique ou similaire à ceux du titulaire, et d’ignorer cette situation ou d’en être informés tardivement de façon fortuite. En laissant les atteintes tierces se multiplier et s’installer dans la durée, le titulaire pourra être contraint de coexister avec ces tiers (alors qu’il bénéficiait d’un droit exclusif), car avec le temps il sera plus difficile de faire valoir ses droits. L’exclusivité de la marque sera alors « partagée », ce qui a aussi pour conséquence de lui faire perdre de sa valeur, dans l’hypothèse par exemple d’une vente de la marque ou du fonds de commerce.
3/ La surveillance permet aussi de prévenir ou limiter au maximum le préjudice causé par des tiers, comme la contrefaçon (qui n’est pas limitée aux seules copies serviles : une entreprise concurrente qui choisit de bonne foi un nom ressemblant, correspond aussi à de la contrefaçon), le parasitisme, l’usurpation d’identité, le phishing, les fraudes et arnaques en ligne, qui sont de plus en plus nombreuses et n’épargnent aucun secteur d’activité.
4/ Plus généralement, avoir une surveillance permet de maîtriser les dépenses liées à la défense de la marque. En effet, agir au plus tôt contre des comportements dommageables permet de limiter, voire éviter le préjudice subi, lequel a in fine pour conséquence une perte de revenu et/ou de valeur. De même, agir rapidement, et à chaque fois que cela est nécessaire, permet de conserver une « marque forte », ce qui maximise les chances de succès en cas de litige, et il est toujours préférable de financer une procédure ayant de bonnes perspectives de victoire et de gain. A l’inverse, laisser les atteintes tierces se multiplier en l’absence de surveillance, c’est non seulement subir un préjudice, mais aussi prendre le risque d’une défense onéreuse et plus aléatoire dans son résultat.
5/ Enfin, une raison concerne spécifiquement les entreprises qui fonctionnent en réseau, particulièrement les réseaux de franchise. Pour ces derniers, le franchiseur a en effet l’obligation de concéder l’exploitation d’une marque à ses franchisés et, par extension, d’assurer la défense de cette dernière. Un franchiseur qui ne surveillerait pas sa marque prendrait, de fait, le risque de voir celle-ci se diluer, ce qui peut considérablement nuire à l’attractivité de sa franchise.
Par ailleurs, il n’est pas rare, lorsqu’un franchisé quitte le réseau, qu’il continue d’exploiter le nom, le logo, les couleurs (ou d’autres éléments identifiants) du franchiseur, car cela lui permet de profiter de la notoriété du réseau et de transférer à son compte la clientèle alors acquise sous l’enseigne du franchiseur. Avoir une surveillance en place est un bon mécanisme de lutte contre ce phénomène, car elle permet d’être alerté de l’enregistrement, par l’ex-franchisé, d’un nom de société ou nom commercial proche, d’un nom de domaine (cas fréquent), d’une marque, voire d’une page Facebook ou Instagram, etc.
Qu’est-ce que l’on surveille, et comment procède-t-on ?
1/ Surveiller les noms de domaine : Si auparavant cette surveillance était plutôt réservée aux sociétés exploitant un site marchand, la veille sur les noms de domaine relève aujourd’hui d’un impératif face à l’augmentation constante des fraudes et cyberattaques constatée depuis quelques années.
En effet, l’on constate que les fraudes les plus classiques et répandues (tentatives d’hameçonnages, arnaques au président…), mais également les cyberattaques via des logiciels malveillants, trouvent très souvent leur origine dans la réservation d’un nom de domaine. Concrètement, le process est simple et très peu coûteux : le fraudeur réserve un nom de domaine identique à une marque mais dans une extension différente de celle du site officiel (par ex. miip.eu au lieu de miip.fr) ou une version intégrant une typo peu visible (par ex : miiip.fr au lieu de miip.fr) et active les serveurs messagerie du nom de domaine en question. Grâce aux réseaux sociaux professionnels et informations disponibles sur le site institutionnel de l’entreprise et bases de données publiques, il a facilement accès aux noms des employés de l’entreprise ciblée et peut ainsi envoyer des mails frauduleux ou intégrant une pièce jointe malveillante en usurpant leur identité (par ex : directeur@miiip.fr au lieu de directeur@miip.fr).
Les PME sont de loin les plus exposées et les plus touchées par ces attaques et les conséquences peuvent parfois être lourdes. Aux coûts directs liés à la gestion de la cyberattaque, s’ajoutent le manque à gagner lié au ralentissement, voire à l’interruption, de l’activité, la désorganisation interne, les heures de travail perdues, l’impact négatif sur l’image de l’entreprise et la perte de confiance des consommateurs. On se souviendra par exemple de la société Lise Charmel qui a déposé le bilan à la suite d’une attaque par rançongiciel.
La sensibilisation des équipes en interne joue un rôle essentiel mais il n’est pas rare qu’un mail frauduleux échappe à la vigilance d’un collaborateur. La surveillance de noms de domaine permet précisément d’être alerté des réservations suspectes de noms de domaine pour faire cesser les atteintes. En l’occurrence, les réponses apportées à ce type d’atteintes sont efficaces et donnent des résultats rapides (désactivation des serveurs de messagerie et des sites Internet frauduleux en quelques jours voire quelques heures, récupération de noms de domaine frauduleux via des plaintes type UDRP en quelques mois).
2/ Surveiller le registre des marques : la plupart des pays ont mis en place des procédures dites d’opposition qui permettent au titulaire d’un droit antérieur de contester l’enregistrement d’un nouveau dépôt. Ces procédures sont enfermées dans des délais assez courts qui commencent à courir à compter de la publication de la marque. Or, pour pouvoir bénéficier de ces procédures rapides et peu coûteuses, encore faut-il être alerté des dépôts. En outre, agir rapidement, c’est augmenter ses chances de trouver une issue amiable avec le titulaire qui n’aura peut-être pas encore démarré son exploitation et sera plus enclin à discuter que celui dont l’utilisation est déjà bien installée.
Si la priorité est de surveiller les territoires sur lesquels la marque est protégée, il peut être pertinent d’étendre la veille au-delà pour les marques stratégiques afin d’évaluer les perspectives de développement en étant informé des dépôts qui pourraient venir compromettre à terme le déploiement de la marque. En outre, une surveillance globale permet d’être alerté des dépôts frauduleux ou effectués par des partenaires locaux et de s’y opposer. En effet, de nombreux offices acceptent d’autres fondements que celui de la démonstration d’un risque de confusion avec une marque antérieure et il est donc possible d’empêcher l’enregistrement d’un dépôt opéré de mauvaise foi ou frauduleusement et ce, en l’absence même d’une marque antérieure sur le territoire en question.
Outil indispensable, si ce n’est obligatoire, pour protéger et défendre sa marque, la surveillance sur le registre des marques s’adapte par ailleurs au territoire et au signe (veille sur les caractères chinois, logo, sigle…), au contexte et à vos problématiques (veille sur les dépôts de concurrents…), etc…
3/ Surveiller le registre des sociétés : Parce que tout le monde ne dépose pas une marque pour identifier son activité et que l’utilisation d’une dénomination sociale identique ou proche peut être tout autant préjudiciable qu’un dépôt de marque. Se manifester dès l’immatriculation de la société, c’est optimiser les chances de résolution amiable et d’éviter une action judiciaire en contrefaçon. A noter par ailleurs que l’enregistrement d’une dénomination sociale n’est pas neutre car il confère un droit sur le signe à son titulaire. Il est donc essentiel de garder un œil sur ces immatriculations qui, au-delà du risque de confusion, créé une dilution de la marque qui pourra à terme être opposée au titulaire de la marque.
Les outils de surveillance sont constamment mis à jour. D’autres supports existent (marketplaces, réseaux sociaux, web, applications mobiles, etc.) et peuvent ainsi venir compléter la veille conduite sur les registres prioritaires détaillés ci-dessus. Le choix des outils de veille est à définir en fonction de votre activité, de votre modèle économique, de la typologie de votre marque, de vos territoires cibles, de vos problématiques, etc.
Que vous ayez ou non une surveillance en place, les équipes de MIIP-Made In IP sont à votre disposition pour faire le point sur ces questions !
Alexandre Marboeuf / Conseil en Propriété Industrielle, Anne-Laure Sellier / Juriste en Propriété Industrielle, Véronique Bichon / Conseil en Propriété Industrielle