RONAN BY CLINET : Une consécration des marques de négoce ?
Arrêt n° RG 18/01560 de la Cour d’Appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 2, du 29 mars 2019, Château l’Eglise Clinet / Groupe Clinet.
La pratique qui consiste pour les marques commerciales à décliner un nom de Château pour désigner un vin de négoce est désormais largement répandue, notamment le bordelais. L’exemple le plus connu en est sans aucun doute le célèbre MOUTON CADET, le vin d’appellation Bordeaux le plus vendu dans le monde !
À l’inverse des marques domaniales, qui sont rattachées à une exploitation viticole, ces marques commerciales évoluent dans un cadre réglementaire plus souple, qui leur permet par exemple de produire des volumes en plus grande quantité (puisque les raisins ne proviennent pas d’une exploitation viticole délimitée).
C’est dans ce contexte que le 29 mars dernier, la Cour d’appel de Paris a été appelée à se prononcer notamment sur le caractère trompeur des marques RONAN BY CLINET exploitées pour des vins de Bordeaux.
Dans cette affaire, le GFA de l’Eglise Clinet, propriétaire du CHATEAU L’EGLISE CLINET, attaque sa voisine la SCEA Château Clinet, propriétaire du CHATEAU CLINET, ces deux exploitations viticoles étant situées en appellation d’origine protégée (AOP) Pomerol.
Le CHATEAU L’EGLISE CLINET lui reproche en particulier de commercialiser des vins d’appellation Bordeaux sous la marque RONAN BY CLINET ; la reprise du nom CLINET étant selon elle susceptible de prêter à confusion avec les vins de grande notoriété d’AOP Pomerol du CHATEAU L’EGLISE CLINET et CHATEAU CLINET et de ce fait d’induire le consommateur en erreur sur la qualité et/ou la provenance géographique desdits vins.
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Rappelons qu’en vertu de l’article L 711-3 c) du code de la Propriété Intellectuelle, ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe :
« De nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ».
La Cour s’attache dans en premier temps à définir le public visé, comme constitué de consommateurs de vins, occasionnels, réguliers ou connaisseurs des vins en général et non de spécialistes de l’appellation Pomerol ou experts œnologues.
Elle relève que ni la notoriété des vins CHATEAU L’EGLISE CLINET et CHATEAU CLINET, ni la connaissance de la qualité de ces vins comme étant des vins d’appellation Pomerol, n’a été établie auprès du public visé.
En effet, un sondage versé aux débats par les appelantes, effectué auprès de 1035 personnes représentatives de la population de 30 à 70 ans consommatrices de vins, atteste que la « grande majorité des consommateurs de vins novices ne savent pas caractériser correctement les appellations testées, et encore moins distinguer les marques de Château ».
Ainsi, la Cour estime que « le consommateur moyen de vin n’associe pas les vins Château l’Eglise Clinet et Château Clinet à des vins d’appellation Pomerol, il n’est pas démontré que la présence du seul terme Clinet (…) pourrait lui laisser penser qu’il s’agit d’un vin d’AOP Pomerol ».
→ Partant, elle considère qu’il n’a pas été démontré que la présence du terme CLINET au sein des marques RONAN BY CLINET laisserait à penser au consommateur moyen qu’il s’agit d’un vin d’AOP Pomerol (absence de tromperie sur la qualité des produits) et/ou qu’il provient du lieu-dit CLINET (absence de tromperie sur la provenance géographique des produits).
Pour ces motifs, la Cour confirme le jugement du TGI et rejette la demande en nullité des marques RONAN BY CLINET pour déceptivité.
En tout état de cause, et surabondamment, la Cour estime que la demande en concurrence déloyale et parasitaire du GFA de l’Eglise Clinet est infondée.
Elle relève que les étiquettes des vins RONAN BY CLINET mentionnent clairement qu’il s’agit d’un vin de Bordeaux et qu’il a été mis en bouteille par la société Groupe Clinet en sa qualité de négociant, de sorte qu’il n’existe aucun risque que le consommateur puisse croire qu’il s’agit d’un vin d’AOP Pomerol.
De plus, la mention selon laquelle le propriétaire du Groupe Clinet est également propriétaire du Château Clinet n’est pas de nature à induire en erreur le consommateur. En effet, il ne peut être reproché à la société Groupe Clinet de tirer profit de la notoriété de son vin Château Clinet clairement évoqué comme un vin distinct, de « château ».
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Cette décision fait écho à l’arrêt de la Cour de cassation, rendu le 16 juin dernier, dans l’affaire Petrus Lambertini (cf. notre article sur le sujet).
Evacuant le risque de tromperie, la Cour considérait en effet que le choix de la marque PETRUS LAMBERTINI « constituait une utilisation habile de la marque pour attirer la clientèle ».
Paradoxalement, la Cour justifiait alors l’absence de risque de confusion pour le consommateur moyennement averti en matière de vin par la bonne connaissance de celui-ci des différentes AOP, en relevant que PETRUS est un vin d’appellation Pomerol et que donc le vin PETRUS LAMBERTINI d’appellation Côtes de Bordeaux ne pouvait être son second vin.
De surcroit, le faible prix du vin PETRUS LAMBERTINI (10€) devait, selon la Cour, lever tout risque de confusion avec PETRUS.
→ Quels enseignements en tirer ?
- Les marques de négoce peuvent représenter un avantage commercial non négligeable dès lors qu’elles permettent de « décliner » (sans jeu de mot !) une marque domaniale.
- Cela étant, ces marques sont aujourd’hui dans le viseur de bon nombre d’opérateurs, qui les voient comme des marques trompeuses : elles sont donc amenées à être challengées sur le terrain judiciaire.
- Dès lors, la création de marques commerciales dérivées d’un nom de Château n’est jamais « neutre » et doit faire l’objet d’une réflexion préalable, tant du point de vue de la stratégie commerciale de l’exploitant et que de sa faisabilité juridique !
- De surcroît, tout au long de son exploitation, il convient de veiller à ce que ni l’usage de la marque commerciale ni les communications y-relatives ne soient susceptibles de tromper le consommateur, en laissant croire que les vins proviennent de l’exploitation concernée.
Quoiqu’il en soit, s’il existait une incertitude sur le caractère trompeur ou non des marques de négoce dérivées d’un nom de Château, cette incertitude semble désormais levée par la position de la cour d’appel.
Néanmoins, le CHATEAU L’EGLISE CLINET peut encore se pourvoir en cassation – affaire à suivre donc…
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Clara CELLIER et Marion ALARY – Département LexWine – INLEX IP EXPERTISE