L’Éléphant Bleu et la (très) difficile protection de ses couleurs !

La question de la protection des éléments de l’image d’un réseau, et particulièrement des couleurs emblématiques des magasins et de la marque, n’est jamais simple.

Il existe schématiquement deux modes de protection :

  • le droit des marques (pour autant que l’on dispose d’une marque enregistrée couvrant bien la combinaison de couleurs) qui protège contre les tiers, anciens franchisés compris,
  • le contrat qui peut protéger contre le co-contractant (pour autant que celui-ci contienne des dispositions propres à la protection des signes distinctifs identifiés, en l’occurrence la combinaison de couleurs, et que l’ex-franchisé soit tenu de les imposer au repreneur de son fonds de commerce).

C’est précisément cette dernière voie de protection, le contrat, qui a été censurée par la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 1 juillet 2020 (affaire n°17/21498 Hypromat France (Éléphant Bleu) contre Aulnoy Lavage et Jeumont Lavage).

Les 1ers juges considèrent la clause de protection des couleurs bleue et blanche de l’Éléphant Bleu non écrite !

Pour résumer les faits, Aulnoy Lavage et Jeumont Lavage sont des franchisés Éléphant Bleu ayant le même gérant et dont les contrats ne sont pas renouvelés. Aulnoy attaque Hypromat France sur la base de la rupture brutale de relations commerciales établies, ce que les juges de 1ère instance ne retiennent pas.

Par contre, ils considèrent que la clause du contrat de franchise obligeant le franchisé à ne plus utiliser les couleurs bleue et blanche et faire repeindre le centre de lavage dans les 6 mois de la cessation du contrat de franchise, est réputée non écrite aux motifs qu’elle ne précise aucune limite dans le temps pour cette interdiction et peut avoir pour effet de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’ex-franchisé en l’empêchant de rejoindre un réseau concurrent utilisant les mêmes couleurs.

Les juges d’appel confirment en application de l’article L 341-2 !!

La Cour d’Appel retient en effet que, contrairement aux affirmations d’Hypromat France, la combinaison de couleurs est utilisée par d’autres réseaux concurrents (preuve rapportée par Aulnoy Lavage avec le réseau Aquabloo) et que cette combinaison est aussi naturelle pour une activité de lavage, le blanc symbolisant la propreté associée au bleu symbole de l’eau.

Les juges confirment donc que la clause est de nature à restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant. Ils ajoutent aussi que l’article L 341-2 est d’application immédiate c’est-à-dire pour des contrats conclus avant août 2015, les parties ayant pu alors prévoir des clauses de sortie avec une durée plus longue qu’une année.

Que doit-on retenir ?

  • l’article L 341-2 dispose que toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un contrat de type franchise, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’ancien franchisé, est réputée non écrite (à moins d’être limitée aux terrains et locaux utilisés par l’ex-franchisé, être indispensables à la protection du savoir-faire transmis et ne pas excéder un an…),
  • la protection par le contrat est donc restrictivement encadrée et cette limite d’un an entraine la dilution automatique de l’élément concerné passé ce délai,
  • la dilution est l’ennemi mortel de la protection (comme le montre ici le fait que le réseau Aquabloo utilisait aussi la même combinaison de couleurs),
  • mais cet article L 341-2 n’empêche pas d’interdire à un ancien franchisé l’usage des signes distinctifs du réseau pour autant que ceux-ci soient protégés par un droit de PI,
  • il est donc nécessaire pour les réseaux d’utiliser tous les droits de propriété industrielle ou intellectuelle à leur disposition pour protéger les éléments essentiels de leur identité (et ainsi de faire un audit des éléments actuellement non protégés hors contrat et de tout usage par un concurrent pouvant entrainer une dilution),
  • une utilisation habile de cette notion de signes distinctifs peut aboutir à une meilleure protection de l’identité du réseau.