Ces deux dernières années, vous l’aurez constaté de nombreux « shops » ont ouvert leurs portes proposant à la vente du CBD et des produits dérivés à base de CBD, et ce malgré une règlementation encore opaque en France.
D’ailleurs, certains alcooliers et vignerons se sont saisies de ce marché fleurissant pour intégrer cette molécule à des boissons alcoolisées.
Mais qu’en est-il de la règlementation ?
Pour rappel, le CBD également identifié comme la molécule du cannabidiol est issue de la plante Cannabis sativa qui contient plus de 100 composés chimiques. À l’inverse du THC, le cannabidiol n’a pas d’effet psychoactif car il n’agit pas sur les mêmes récepteurs du cerveau.
Initialement, en France le CBD était indirectement interdit. En effet, l’arrêté du 22 août 1990 complété par la circulaire du ministère de la Justice, du 23 juillet 2018 autorisait la culture du chanvre, son importation, son exportation et son utilisation à condition que :
– la plante soit issue de l’une des variétés de cannabis sativa L. prévues par l’arrêté [du 22 août 1990],
– seules les fibres et graines de la plante soient utilisées,
– la plante contienne elle-même moins de 0,20 % de delta-9-tétrahydrocannabinol THC
Or, on retrouve le CBD principalement dans la fleur et la feuille de chanvre, et non dans les fibres et graines…
Au niveau européen, les textes ne prévoyaient aucune limitation aux fibres et aux graines comme le faisait la France.
C’est dans ce contexte qu’une question préjudicielle a été posée à la Cour de Justice de l’Union européenne[1] :
Est-ce que les textes français, limitant la culture du chanvre, son industrialisation et sa commercialisation aux seules fibres et graines sont contraire au principe de libre circulation des marchandises ?
La Cour considère que la réglementation française qui interdit de commercialiser du CBD légalement produit dans un autre État membre, lorsqu’il est extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité, et non de ses seules fibres et graines est susceptible d’entraver la libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne. Le droit français était alors en contradiction avec le droit européen.
Suite à cette décision, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives dépose un avis (accessible en ligne[2]) teinté de réticences à la commercialisation de la molécule de CBD.
Extrait : « Les autorités réitèrent d’ores et déjà leurs avertissements concernant les effets potentiellement nocifs de la molécule de CBD, encore peu connue. Elles signalent en outre les risques sanitaires liés au Δ-9-tétrahydrocannabinol (THC), molécule classée comme stupéfiant, que sont susceptibles de contenir les produits issus du chanvre. Elles appellent à la plus grande vigilance concernant les modes de consommation de ces produits, notamment la voie fumée, dont la toxicité est avérée. »
Selon les textes à ce stade, en France la commercialisation de CBD demeurait interdite.
En 2021, les juridictions françaises[3] font un pas en avant vers la légalisation du CBD. Elles considèrent que l’interdiction de la commercialisation de produits contenant du CBD ne pouvait être ordonnée en l’absence de preuve que les produits en causes entraient dans la catégorie des produits stupéfiants.
Cet été, un projet d’arrêté relatif au CBD est publié[4] . La culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre est étendue, sous certaines conditions, à toutes les parties de la plante de chanvre. Les conditions principales sont notamment :
- La plante de chanvre doit avoir une teneur en THC qui n’est pas supérieure à 0,2% ;
- Seuls des agriculteurs actifs au sens de la réglementation européenne et nationale en vigueur peuvent cultiver des fleurs et des feuilles de chanvre en France.
- « Les fleurs et les feuilles ne peuvent être récoltées, importées ou utilisées que pour la production industrielle d’extraits de chanvre. Sont notamment interdites la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation. Par conséquent, la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients [comme produits à fumer, tisanes ou pots-pourris] leur détention par les consommateurs et leur consommation sont interdites. »
La France reste réticente puisqu’elle autorise l’utilisation des fleurs et des feuilles brutes de CBD uniquement dans le secteur industriel…
Nous attendons l’arrêté définitif qui sera publié fin 2021/début 2022.
Dans ces conditions, au vu des réticences gouvernementales, surfer sur la tendance du CBD en intégrant cette molécule dans des boissons alcooliques semble risqué !
Mélissa QUERON – Juriste en Droit de la Vigne et du Vin et en Propriété Industrielle
[1] CJUE 19 novembre 2020 C-663/18 Affaire Kanavape
[2] https://www.drogues.gouv.fr/actualites/cannabidiol-cbd-point-legislation
[3]Décision de la Chambre Criminelle de la Cour de cassation du 23/06/2021 n°20-84.212 ; Décision de la Chambre Criminelle de la Cour de cassation du 15/06/2021 n°18-86.932
[4] https://www.drogues.gouv.fr/actualites/cbd-notification-projet-de-nouvel-arrete