Il n’est de jour où l’on n’entende parler de NFT ou de métavers et de nombreuses enseignes s’interrogent sur la question de savoir si ces évolutions technologiques les concernent vraiment et s’il ne s’agit pas d’élucubrations de geeks, assez éloignées des préoccupations de leurs clients.
L’on va donc regarder quels sont les développements commerciaux que l’on observe d’ores et déjà, qui pourraient inspirer les enseignes afin d’en tirer certaines conséquences en matière de propriété intellectuelle. Il est à noter que le sujet est extrêmement vaste et que les présents développements n’ont pas vocation, bien sûr, à être exhaustifs mais plutôt à aiguillonner les esprits pour que chaque enseigne s’interroge sur ce que la démarche pourrait lui apporter.
La définition technique du métavers est celle « d’un vaste réseau de mondes et de simulations 3D persistants et rendus en temps réel qui prennent en charge la continuité de l’identité, des objets, de l’historique, des paiements et des droits, et pouvant être expérimentés de manière synchrone par un nombre effectivement illimité d’utilisateurs ».
Celle de Facebook a le mérite d’être plus accessible le décrivant comme étant « un ensemble d’espaces virtuels où vous pouvez créer et explorer avec d’autres personnes qui ne sont pas dans le même espace physique que vous. »
Ces définitions donnent l’impression d’un « tout virtuel ». Pourtant, la réalité que nous observons est plus proche d’un mixte réel – virtuel ou plutôt des expériences où le réel fait des incursions dans ce monde virtuel et vice-versa. Cette forte recherche d’interconnexion entre le réel et le virtuel est précisément ce qui permet d’imaginer comment, dans un futur proche, une enseigne pourrait envisager une expérience dans les NFT ou le métavers.
Quels sont donc des exemples de telles interconnexions ?
Nous voyons, tout d’abord, des produits physiques vendus exclusivement via le digital à l’opposé total de leur mode habituel de distribution comme en atteste la collaboration de Dom Perignon et Lady Gaga avec 100 bouteilles vendues dans un espace 100% virtuel.
Plus étonnant, nous voyons des produits vendus « en primeur » avec des NFT c’est-à-dire vendus avant même d’être réalisés physiquement.
Ainsi, le NFT de Château L’Angélus en partenariat avec CultWines comprenant un tonneau d’Angélus 2020 primeur, une œuvre d’art 3D représentant les cloches emblématiques de la maison et des expériences VIP au château.
Angélus and Cult Wines explore NFT trend – Decanter
Ou encore, le NFT de l’australien Treasury Wine Estates lancé sur BlockBar portant sur la propriété d’un tonneau de Magill Cellar 3 millésime 2021 (130 000 dollars convertible en 300 jetons pour autant de bouteilles disponibles ) et qui comprenait également des expériences exclusives. Il s’agissait là d’une pièce de collection car ce vin ne sera pas disponible à la vente publique.
Treasury Wine Estates issues NFTs for Penfolds barrel – Lawyers Weekly
L’idée d’un mixte de vente de produits réels et d’expériences exclusives utilisant la technologie des NFT est également en vogue comme en témoigne la vente en 2021 par la Maison Acker de 16 lots du Domaine Comte Louis-Michel Liger-Belair, un fameux domaine de Vosne-Romanée en Bourgogne, chaque bouteille du millésime 2019 étant accompagnée d’une vidéo sous format NFT.
Acker Wines | Fine Wine Auctions & Wine Shop Since 1820
Et nous voyons même des cas de vente digitale et de livraison physique avec l’idée de l’actrice Sarah Jessica Parker dont le vin néo-zélandais Invivo X pourrait être vendu dans un magasin de vin virtuel et où l’achat d’une bouteille par un avatar numérique entraînera la livraison d’une bouteille physique « à votre domicile, partout dans le monde ».
Sarah Jessica Parker wine brand enters NFT crypto market (thedrinksbusiness.com)
Sans compter les nombreuses opérations de communication basée sur des partenariat comme pour la collaboration Dom Perignon / Lady gaga vue plus haut ou encore Château Darius avec le milliardaire Mohamed Hadid (père de ses deux filles mannequins par ailleurs).
De ce que l‘on voit actuellement, les NFT sont le plus souvent associés à une idée de rareté, voire de caractère unique donnant précisément la valeur au NFT ; celle-ci peut aussi être liée au fait que la personne qui a créé le NFT est LA personne qui est à l’origine de « l’œuvre » (par exemple le créateur du premier code du web Tim Berners-Lee NFT : Tim Berners-Lee vend le programme à l’origine du web pour 5,4 millions de dollars (francetvinfo.fr) ou encore Antoine Kombouaré (auteur d’un but de football mythique Un but légendaire de l’entraîneur du FC Nantes, Antoine Kombouaré, vendu aux enchères (ouest-france.fr)). le NFT vient donc ici créer un lien direct entre l’auteur et l’acheteur.
Il est bon de rappeler que le NFT ne donne aucune propriété sur l’œuvre elle-même et ne constitue qu’un certificat d’authenticité. Le NFT ne donne donc aucun droit à reproduire, modifier, exploiter l’œuvre.
Mais ce que l’on voit ici pour des marques pointues, dans des opérations de communication encore assez avant-gardistes, est-ce envisageable pour une marque vendant des produits de grande consommation ?
L’on voit par exemple, L’Oréal chercher à créer de la rareté en collaborant avec des artistes pour le lancement d’un nouveau rouge à lèvres, les artistes étant exclusivement des femmes pour intégrer la démarche dans une approche quasi militante :
« Les Reds of Worth NFT seront disponibles aux enchères sur la place de marché OpenSea du 13 au 15 décembre 2021, les artistes conservant 100% des ventes primaires. Chaque NFT commencera à un prix plancher de 1 500 dollars. 50% des ventes sur le marché secondaire (jusqu’à un an) seront reversés à Women of Worth, l’initiative philanthropique de L’Oréal Paris qui récompense les femmes qui font une différence extraordinaire dans leur communauté. Les artistes seront également en conversation avec OpenSea, UTA et L’Oréal lors d’un Twitter Spaces pour sensibiliser davantage à la vente aux enchères et pour partager plus sur leurs œuvres, l’inspiration du programme et ce qu’elles ont appris en tant qu’artistes féminines dans l’espace NFT ».
▷ L’Oréal Paris se lance dans les NFTs – CES de France
Et l’on voit aussi une entreprise de plus de 300 000 personnes aux USA, la chaine de pharmacie et de produits de soin CVS Health annoncer qu’elle envisage d’ouvrir des magasins dans le métavers et commence déjà par protéger sa marque.
La chaîne de pharmacies CVS Health dépose des droits de marque pour le metaverse (cryptoast.fr)
Et Mc Donalds annonce faire de même : Après les NFT, McDonald’s en route vers le metavers ? (cryptonaute.fr)
Pour les sociétés en B2B, il peut être plus délicat de « voir » comment leur activité pourrait se prolonger dans l’univers virtuel. Par exemple, si l’on regarde l’activité de transport de colis ou de fret, on pourrait penser que le métavers est hors de sujet. Pourtant, de nombreux jeux vont se développer sur le métavers (Epic Games : un métavers en développement (filtermaker.fr) et un acteur important pourrait protéger sa marque et l’exploiter directement ou sous forme de licence pour des jeux virtuels ayant pour thème le transport.
De même, le moment de l’arrivée d’un colis chez un particulier est souvent vu comme un moment sympathique voire joyeux et il est possible que le livreur virtuel soit vu comme un messager véhiculant des ondes positives. La création (et la protection) de cet avatar pourrait alors avoir un intérêt stratégique dans le plan de communication d’une marque de transport ou de fret.
Evidemment, comme dans la vie réelle, il faudra prendre garde aux contrefaçons et l’on voit déjà le phénomène arriver alors que le commerce sur le métavers n’en est qu’à ses balbutiements ! ainsi Dolce & Gabana alerte contre les faussaires Dolce & Gabbana met en garde contre les faussaires NFT. (journalduluxe.fr), Hermes attaque un artiste qu’elle accuse de copier ses sacs Birkin (NFT : Hermès attaque l’artiste Mason Rothschild pour contrefaçon – Magazine Decideurs (magazine-decideurs.com).
L’on voit aussi des terrains virtuels se vendre justifiant que des agences immobilières de renom protègent leur nom pour des services virtuels de place de marché immobilier, de courtage etc. Les ventes de terrains de Metaverse s’envolent – Jeux P2E (jeux-p2e.fr), Métavers : voici comment procéder à l’achat d’un terrain virtuel, étape par étape (cryptonews.com)
Dans le même temps, certains s’interrogent sur l’impact que cela pourrait avoir sur leur business-modèle : par exemple, un créateur de meubles de luxe se demande s’il ne pourrait pas vendre un meuble réel couplé à un meuble virtuel encapsulé dans un NFT. L’idée du serait de pouvoir ainsi meubler tant sa maison réelle que sa maison virtuelle dans le métaverse et l’intérêt de créer un NFT est double : donner une garantie de provenance, un certificat d’authenticité mais aussi de pouvoir bénéficier d’un droit de suite (c’est-à-dire que le créateur puisse toucher une fraction des futures prix de revente du NFT).
Quel impact ces différents projets ont-ils sur la protection des marques ?
Un certain nombre de sociétés parient donc sur une extension de leurs activités sur le métaverse et il est alors logique de prolonger leur protection de marques dans cet univers virtuel. Ce prolongement se fait au moyen d’un complément de protection de la marque dans les classes concernées : NYSE dépose une marque pour les NFTs et le métaverse (coin24.fr), McDonald’s prépare l’ouverture d’un restaurant virtuel dans le metaverse (cryptoast.fr) ou encore Gap La marque de vêtements américaine Gap se lance dans les NFTs (cryptoast.fr).
Il convient que les entreprises se soucient de la protection de leurs marques sur ces nouvelles activités digitales qui ne correspondent pas pour l’immense majorité aux classes d’activité qu’elles couvrent habituellement. Ceci est d’autant plus important que les marques se valorisent (il existe la norme Iso à ce sujet : ISO – ISO 10668:2010 – Évaluation d’une marque — Exigences pour l’évaluation monétaire d’une marque) mais que cette valorisation ne peut intervenir que si le signe distinctif est protégé.
Déposer sa marque pour les activités du métavers, c’est donc se laisser la possibilité que la valeur ainsi créée soit pérenne !
Et attention à la propriété des droits !
Il est bon de rappeler que le NFT ne donne aucune propriété sur l’œuvre elle-même et ne constitue qu’un certificat d’authenticité. Le NFT ne donne donc aucun droit à reproduire, modifier, exploiter l’œuvre.
Nous avons rencontré plusieurs cas de création de plateformes de gestion (création, commercialisation) de NFT qui posent des questions particulières sur la relation avec l’auteur de l’œuvre, l’artiste (par exemple lorsqu’il s’agit d’une représentation de lui-même qui est l’objet de la transaction) et donc un schéma contractuel spécifique.
La question de la maitrise des droits se pose notamment en matière de BD (Marvel et DC Comics interdisent (toujours) la vente de NFT relatifs à leurs univers (journaldugeek.com) , Les NFT et le droit : état des lieux juridique. Par Véronique Piguet, Avocate. (village-justice.com) et de cinéma (la société de production Miramax poursuit Tarantino en justice – La Crypto Monnaie).
Ainsi, le cas de Miramax et Quentin Tarantino (Pulp Fiction) ; l’an passé, Tarantino annonçait prochaine tokenisation de sept scènes non coupées du scénario sous forme de tokens non fongibles. Pour leur création, il annonçait s’appuyer sur la blockchain Secret Network. Et Miramax a réagi en indiquant que le studio était propriétaire des droits et qu’il allait interdire cette vente.
D’une manière générale, il est indispensable dorénavant, d’intégrer les NFT et le métavers parmi les supports couverts par les achats de droits (logo, dessin, film, concept architectural, etc.).
En résumé, il est souhaitable que les entreprises fassent l’analyse du complément de protection (classes, activités) de marques qu’elles doivent engager, s’assurer qu’elles détiennent bien les droits (logos, musique, etc.) si elles envisagent une exploitation sous forme de NFT ou sur le métavers et surveillent les exploitations qui pourraient porter atteinte à leurs droits et constituer un parasitisme économique.
Eric SCHAHL – Associé Dirigeant